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Le sens de la fête

« Qui se souvient encore des fêtes chez les hommes ? Les Palilies, les Panonies, Christmas et Pâques et la Chandeleur, et le Thanksgiving Day… » chantait Saint-John Perse dans Vents. Et on pourrait y ajouter la Saint-Georges, l’Arbre de Mai et les Feux de la Saint-Martin, car toutes les fêtes traditionnelles s’évanouissent et disparaissent, ou s’adultèrent irrémédiablement en perdant leur caractère politique et religieux.

 

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Le sens de la fête

C’est pourquoi il faut remercier Blaise Ducos, Conservateur en chef, responsable des peintures flamandes et hollandaises au musée du Louvre, et Sabine van Sprang, Conservatrice de la peinture flamande 1550-1650 aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, d’avoir imaginé une exposition sur les fêtes flamandes à l’époque où les joies des kermesses permettaient d’oublier les chagrins des guerres. Alors les arbalétriers s’affrontaient en concours (Charles Quint tira lui aussi sur la cible, à Gand, un livre en témoigne) quand ils ne tiraient pas à blanc au milieu des confréries défilant en rangs serrés, les tondeurs de draps devant les tanneurs, toutes portant haut leurs emblèmes lors des Ommegang, procession circulaire dans la ville, où le peuple et ses princes se démontraient mutuellement leurs richesses, leurs forces et leur bienveillance réciproque, car aucune allégeance n’est servile et aucune autorité ne se passe de bienséance.

Tout l’intérêt de l’exposition est dans la découverte des gigantesques architectures éphémères (Anvers demanda à Rubens de décorer ses arches triomphales) par où passaient les princes et leurs armées (La Joyeuse entrée du Duc d’Anjou à Anvers le 19 février 1582), et aussi des chars fantastiques, « baleines » de bois, de toile et de carton crachant l’eau sur la foule ou géants casqués (on admire l’immense tête de Druon Antigone) comme on en voit encore dans le Nord ; et dans les correspondances laissées à la sagacité des visiteurs, retrouvant le même mouvement dans deux danses exécutées par les villageois lors d’une noce paysanne ou par des puissants dans un salon, admirant comme les marchands qui défilent sont comme ces troupes qui envahissent la ville de Lierre en octobre 1595 (on trouvera au musée de Lille les fameux plans-reliefs, dont celui d’Ypres : c’est la même vue, les mêmes fortifications, les mêmes jardinets clos, sans les hommes d’armes trucidant les habitants).

Toute l’exposition fonctionne ainsi comme une chambre d’échos et on peut faire et refaire la parcours pour admirer ici comment le peintre a précisément rendu les visages des hallebardiers à l’arrière-plan (David Teniers le Jeune, Tir aux oiseaux à Bruxelles, 1652), là cet amas de plats en cuivre et en étain bien récurés, motif récurrent, souvent placé au même endroit, en bas à gauche, comme si chaque artiste voulait témoigner de sa virtuosité dans cette petite nature morte en marge des kermesses centrales – Jordaens lui-même reprenant le motif dans une grande toile, Le roi boit, dans un format réservé à la noble peinture d’histoire mais qui traite glorieusement d’un sujet bouffon auquel il ne manque rien, les gloutons, les ivrognes au front dégarni, le vomi (sur les beaux plats, précisément) et les fesses d’un garçonnet.

Les échos, ce sont aussi la manière dont les toiles vont parfois par paire, Le Chagrin des paysans de Ryckaert détaillant longuement les avanies et les visages de ceux qui souffrent, en pendant de La Joie des paysans, où l’on trouve le motif de la dame qui s’amuse beaucoup moins que son mari et, en tout cas, a l’humeur moins folâtre (deux tableaux de noces nous montrent ces couples mal assortis). Chaque tableau est un monde, l’exposition est un univers de fêtes codées mais vivantes car tout le monde en possédait les codes (dont celui d’évoluer en bon ordre, qu’il s’agisse d’envahir une ville ou d’en saluer les habitants) et pouvait en anticiper les plaisirs : défiler sérieusement en tirant un dragon en laisse, boire comme un trou, se tortiller en rythme dans une ronde serpentine… Et nous, qui avons été condamnés à la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques et ne pouvons plus tenir fièrement des hallebardes ni courir devant les navires posés sur des chars qui défilent dans les rues flamandes transformées en fjords féériques, il nous reste le plaisir de contempler longuement les soldats défilant immobiles par centaines pour entrer dans Anvers, les kermesses avec leurs étals, et ces Ommegang où nous déchiffrons le nom des confréries, regardons Adam et Eve tenus haut par les fruitiers et découvrons ce minuscule nain vêtu de rouge tenant un panier au milieu des arquebusiers en fraise ; il a l’air inquiet de ceux qui savent que la fête va finir et s’en émeuvent trop tôt.

Fêtes et célébrations flamandes : Brueghel, Rubens, Jordaens…

Palais des Beaux-Arts, Lille, jusqu’au 1er septembre 2025

Alexander van Bredael, Fête traditionnelle à Anvers avec le géant Druon Antigon, 17e siècle, Lille, musée de l’Hospice Comtesse © GrandPalaisRmn / Stéphane Maréchalle

Illustration : Jacques Jordaens [Anvers 1593 – 1678], Le roi boit, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles © Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles / photo : J. Geleyns – Art Photography

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