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Le grand renoncement

Un nouveau roman, prenant la forme du roman policier, sur l’effondrement de notre pays face à une crise majeure ?

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Le grand renoncement

Dans Douce France, Céline Cléber décrit avec minutie l’imbrication des événements qui font qu’un fait divers puisse déclencher dans notre pays une guerre civile – « civile » si tant est que l’on considère que tous fassent bien partie de la même Cité, ce qui est peut-être le fond de la question. Et donc ici comment l’on passe du meurtre d’un prêtre chaldéen à l’embrasement des « banlieues » et à l’établissement de nouvelles zones de non-droit sous contrôle d’éléments liés à l’islam radical, sans que l’on sache toujours bien qui, de la petite frappe et de l’imam autoproclamé, utilise qui.

Ce qui marque dans ce roman, ce n’est pas tant la description des exactions, qui ne sont pas passées sous silence, mais n’ont pas, par exemple, la place que leur donne Laurent Obertone dans ses ouvrages sur cette même guerre civile potentielle. Ce n’est pas même la manière dont l’auteure nous montre un État incapable de réagir face à cette violence parce qu’il serait incapacité par la doxa multiculturaliste, comme dans Le camp des saints de Jean Raspail, et ce même si elle évoque bien le poids des médias ou celui de « la recherche ».

Qu’apporte alors de nouveau le livre de Céline Cléber, et pourquoi est-il impératif de le lire ? D’abord, une rigueur d’analyse rarement vue quant au fonctionnement interne de l’État français de 2025. Cléber ouvre au scalpel le ventre de la machine administrative, elle en détaille les rouages – directions, sous-directions, services, brigades, régiments –, tous réels, et nous montre comment ils interagissent entre eux, avec leurs cultures administratives différentes et leurs logiques propres. Elle donne à voir comment cette administration s’articule avec le pouvoir politique, que ce soit pour en servir les desseins ou les contrecarrer. Elle nous en décrit les réseaux parallèles, qui ne sont même plus occultes.

Il n’y a pas plus de chefs qu’il n’y a d’État

On suit donc avec un réalisme stupéfiant, de réunions en conférences de presse, l’onde de choc causée par la violence qui s’est déchaînée. Une suite de réactions de l’État qui ne débouche cependant en rien sur une action concertée destinée à réprimer cette violence et à en sanctionner les acteurs. Lourdeur des procédures administratives ? Sans doute. Manque de moyens en effectifs ? Peut-être. Céline Cléber évoque ces points, mais c’est finalement secondaire. Le principal pour elle est la déliquescence de nos « élites », pour reprendre le terme dont aime à se parer l’oligarchie au pouvoir.

On connaît le mot assassin de Charles de Gaulle sur Albert Lebrun : « Comme chef de l’État, deux choses lui avaient manqué : qu’il fût un chef ; qu’il y eût un État ». Pour Cléber, il n’y a plus véritablement d’État en France en 2025. Le nôtre, institutions politiques et haute administration mêlées, ne gouverne ni même n’administre plus, mais se contente de mettre en scène, pour les faire accepter, ses renoncements successifs, ses abaissements, notamment dans ce roman face à la pression d’un islam conquérant. Du refus de sanctionner les « incivilités » à la tolérance des appels à la violence et à la sécession, en passant par la « délégation de service public » de la paix sociale aux « grands frères », quand ce n’est pas aux réseaux de dealers, l’État ne rêve finalement que de se faire oublier pour ne pas avoir à affronter la réalité. C’est « l’engourdissement qui précède la paix de la mort », pour reprendre la belle phrase de l’Appel de Cochin.

Cela, Céline Cléber nous le montre à travers une galerie de portraits que l’on aimerait croire caricaturaux, mais dont la lecture des quotidiens montre le réalisme. Au long des réunions qui s’égrènent – ministérielles, interministérielles, présidentielles, internes à telle ou telle structure –, les différents acteurs ne semblent jamais penser qu’à leurs intérêts propres. Car une crise, si l’on sait s’y prendre, en retenant une information, en en laissant une autre « fuiter » dans les médias, en sachant prendre la lumière médiatique, c’est avant tout une belle opportunité : des points dans les sondages pour les uns, des progressions de carrière pour les autres. Mais pour cela la prudence s’impose. Ne pas s’opposer à son chef, ne pas prendre de position apparaissant par trop « clivante », ne pas offrir à un rival une possibilité de briller, même pour le bien commun. La supposée « haute » administration comme les politiques ont acquis de nos jours des réflexes de subalternes médiocres. Il n’y a finalement pas plus de chefs qu’il n’y a d’État.

On dévore avec avidité les courts chapitres de ce roman sous tension, bien écrit, qui met le doigt sur une plaie que l’on n’imaginait pas si profonde. En le refermant, et même si Céline Cléber laisse entendre à la fin de l’ouvrage que tout n’est peut-être pas perdu, on comprend que le roi est nu et qu’il utilisera tout ce qui lui reste de force – et il en a – pour neutraliser ceux qui osent le dire. À lire très vite.

 

Céline Cléber, Douce France. Les éditions du Toucan, 2025, 425 p. , 18 €

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