Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Entretien avec Philippe Bornet : La dictature, en France, marque la fin d’un cycle. L’analyse du processus dictatorial paraît d’une intéressante actualité.
Le tyran ne dispose que de la potestas (puissance) ; il règne par la contrainte uniquement, sans légitimité. Le dictateur dispose de la potestas et de l’auctoritas (autorité). Disons même qu’il est le grand restaurateur de l’autorité. Le propre du dictateur est que sa magistrature est parfaitement légale et qu’il bénéficie d’un large consensus populaire. Paradoxalement, seuls les pays libres connaissent des dictatures. Seuls les peuples d’esclaves, capables de s’incliner sous le joug de la puissance injuste, les ignorent. Renan l’a dit et expliqué, seuls les Latins ont des dictateurs. Les peuples germains admettent la loi du plus fort (faustrecht) : celui qui a la puissance a toujours, de facto, l’autorité.
Le recours au dictateur commence généralement par une négociation dans les coulisses pour désigner le repreneur d’entreprise en faillite. Le futur dictateur se voit présenter un cahier des charges qui consiste généralement à reprendre le personnel politique précédent et à le reclasser. En général, les choses se passent à l’amiable et le peuple n’est convié que pour applaudir. C’est ce qui s’est passé le 18 brumaire où l’abbé Sieyès changea au dernier moment le nom du premier rôle, qui aurait pu être Moreau ou Joubert. Bonaparte était disponible, n’ayant pas d’engagement ailleurs. La question du souhait populaire n’a donc guère d’importance. Il semblerait cependant que contrairement à une idée convenue, les électeurs centristes sont peu imbus de sens démocratique comme le montrent les dernières enquêtes d’opinion.
Rome a connu 64 dictateurs et plus, jusqu’à Marius, Sylla, Pompée, César. Paradoxalement, Octave Auguste n’a jamais été dictateur, il a même refusé de l’être. C’est dire si cette magistrature, inventée par la république romaine, faisait partie intégrante des institutions romaines. En France, nous avons connu une dictature à chaque fin de République. La dictature marque l’achèvement d’un cycle. Elle peut se transformer en monarchie ou en une nouvelle république car, contrairement à ce qu’on dit, le dictateur dépose souvent sa dictature, soit parce qu’il se sent trop âgé, soit parce qu’il est fatigué du pouvoir.
Oui, la perspective d’une nouvelle dictature me paraît maintenant inéluctable. Il existe une succession de douze étapes qui mènent à l’apparition d’une dictature : 1. désordre dans la rue, 2. impéritie du gouvernement, 3. mécontentement dans l’armée et la police, 4. guerre ou menace de guerre, 5. échec et peur des élites, 6. prestige d’un général, etc. Nous sommes à la phase 5 et déjà des noms de généraux circulent sur les réseaux. La crise des Gilets jaunes à laquelle personne ne s’attendait il y a deux mois est venue renforcer cette impression. Pour les sept dernières étapes, je me permets de vous renvoyer à mon ouvrage. Tout y est expliqué à partir des exemples antiques et modernes.
Certains veulent lui voir endosser ce rôle. En fait, le dictateur restaure l’autorité. Il fait preuve d’une désobéissance contraire. Contrairement à Prométhée, il ne lève pas l’étendard de la révolte mais refonde un système, ferme une parenthèse ou restaure un régime.
Le dictateur est le gentil de l’Histoire. Je dirais même qu’il est une figure christique et Cicéron lui-même écrit dans le De Republica que les dictateurs vont au paradis !