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Le Cuirassé Potemkine

C’est souvent avec la voix ou la plume tremblante que l’on évoque le deuxième film de Sergueï Mikhaïlovich Eisenstein (le premier était La Grève, réalisé en 1924 et consacré à la rudesse de la condition ouvrière dans la Russie tsariste) qu’un jour de 1958 un jury d’historiens représentant vingt-six nations, réunis à Bruxelles, proclama comme « le meilleur film jamais réalisé ».

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Le Cuirassé Potemkine

Il est vrai que l’œuvre n’a pas pris une ride. Véritable coup de poing à l’estomac, Le Cuirassé Potemkine (Bronienocets Potiomkine, 1925) surpasse, tant sur le plan formel qu’artistique, Naissance d’une Nation de David Wark Griffith – auquel le Russe est immanquablement comparé –, film pionnier qui posait déjà les bases d’une authentique grammaire du cinéma. Eisenstein y fait preuve d’une inventivité sans borne ainsi que d’une maîtrise à toute épreuve d’une technique encore très neuve (le cinéma n’a alors qu’une petite trentaine d’années). Surtout, le cinéaste va donner à la pratique du montage une importance jusque-là minorée et anecdotique. Son art du cadrage et du gros plan renforce l’intensité, sinon la gravité dramatique de certaines scènes qui sont, non seulement, devenues anthologiques pour les cinéphiles du monde entier, mais qui demeurent encore aujourd’hui comme de véritables leçons de cinéma. Découpé en cinq actes, comme une pièce tragique (Des vers et des hommes, Drame dans la baie de Tendra, Un mort réclame justice, L’escalier d’Odessa et Rencontre avec l’escadrille), le film s’inspire librement d’un épisode survenu vingt ans auparavant, au moment de la guerre russo-japonaise, lors de la première révolution manquée du dimanche 22 janvier 1905. Devant le port d’Odessa, l’équipage de l’imposant navire de guerre Potemkine (du nom du ministre Grigori Potemkine auquel on prête d’avoir fait élever de luxueuses façades en carton-pâte, lors de la visite de l’impératrice Catherine II en Crimée en 1787), se mutina, tandis que l’armée du tsar Nicolas II réprimera dans le sang cette éruption révolutionnaire, prodrome d’une longue série.

Bien que muet, étonnamment moderne

Dans le film, Eisenstein prend prétexte d’une distribution de viande avariée pour plonger les protagonistes dans le chaudron d’une révolte qui s’avèrera des plus glorieuses, l’escadre tsariste qui les attendait en embuscade finissant, à la fin du film, par fraterniser avec les mutins. À la demande du Goskino – la société cinématographique soviétique –, Eisenstein devait commémorer le vingtième anniversaire de cet épisode sanglant à travers une fresque ambitieuse. Le jeune cinéaste (il avait alors vingt-sept ans) opta pour un format plus court qui devait condenser l’essentiel d’un message idéologique entièrement dédié à l’exaltation du nouveau régime. Projeté le soir de Noël 1925 au théâtre Bolchoï à Moscou, le film propulse le cinéaste au rang d’artiste de génie – en même temps qu’il fait de lui le cinéaste attitré du pouvoir qui lui commandera Octobre, sorti en 1927. La particularité de l’œuvre tient à la place occupée par la masse, à rebours d’une interprétation individualisée – certainement jugée « réactionnaire » et « bourgeoise », selon les canons rhétoriques de l’époque. Que ce soit la scène de la mutinerie – les marins échappant à une exécution capitale décidée sur-le-champ par des officiers méprisants qui finiront par être jetés sans vergogne par-dessus bord – ou celle, particulièrement impressionnante et éprouvante, du massacre de la foule sur les marches du monumental escalier Richelieu surplombant la rade, les individus, affolés ou ivres de colère, s’éparpillant de tout côté ou fonçant sans quartiers sur l’ennemi, parviennent néanmoins à se fédérer en « peuple », comme pour souligner sa dimension messianique, promesse idyllique d’une ère prolétarienne nouvelle (que symbolisera, d’ailleurs, le drapeau rouge hissé sur le mât du navire). Goebbels, ministre de la propagande du IIIe Reich, dut lui-même concéder que Le Cuirassé Potemkine donne à ceux qui le voient l’irrésistible envie de devenir bolchevique. Comme pour faire pièce à cette œuvre magistrale, il chargea Karl Anton de réaliser Le Cuirassé Sébastopol (Panzerkreuzer Sebastopol : « Weisse Sklaven », 1938), film qui ne put être projeté en raison du pacte germano-soviétique. Paradoxalement moins visionné qu’Alexandre Nevski (1938) ou Ivan le Terrible (1942-1945), Potemkine, bien que muet, demeure étonnamment moderne ; la mise en scène énergique et la symbiose entre un scénario sans temps morts et une réelle écriture cinématographique, font de ce monument du cinéma mondial un chef-d’œuvre insurpassé.  

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