Civilisation
À la recherche du XVIIIe siècle
Le père de Berthe Morisot, préfet à Limoges, y créa un musée des Beaux-Arts. Une des premières œuvres données fut un ravissant portrait de Nattier.
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Sacrée Architecture ! La représentation picturale des intérieurs d’église apparut à la fin du XVIe siècle alors que s’exacerbait en Flandre le mouvement iconoclaste.
Partie de Steenvoorde en 1566, la révolte de Gueux gagna toute la contrée et aboutit à la scission des Pays-Bas. Au sud, les archiducs Albert et Isabelle menèrent une politique de reconquête catholique s’appuyant notamment sur la reconstruction des bâtiments. En pleine fougue baroque et suivant les préceptes du Concile de Trente, certains peintres initièrent une nouvelle manière de suggérer le divin : plutôt que de représenter saccages et pillages, leurs toiles magnifient les lignes architecturales, glorifient la lumière et incitent à l’élévation de l’âme. Les vastes édifices, gothiques pour la plupart, sont animés de saynètes de la vie quotidienne, reliant ainsi le monde terrestre à l’univers céleste. Ils donnent alors à admirer des églises grandioses et étincelantes. Ce mouvement fut impulsé par l’anversois Hendrick van Steenwijck (Intérieur d’une cathédrale gothique) et culmina avec Abel Grimmel (Intérieur d’une église avec scène de baptême) et Pieter Neefs (Intérieur de la cathédrale d’Anvers). Quel contraste avec les vues austères et dépouillés des tableaux conçus à la même époque aux Provinces-Unies ! Jan van der Vucht (Intérieur d’une église imaginaire), Emmanuel de Witte ou Isaak van Nickelen (Intérieur de l’église Saint-Bavon de Haarlem) reflètent une spiritualité rigide et dépouillée.
Pendant plus de quarante ans, avec patience et passion, un collectionneur – souhaitant garder l’anonymat – qui rêvait de devenir architecte, a rassemblé sur ce thème une cinquantaine de tableaux d’artistes flamands et hollandais des XVIe et XVIIe siècles. L’exposition de Cassel la dévoile pour la première fois au public dans son intégralité au moyen d’une scénographie originale, confirmant le dynamisme rayonnant du Musée de Flandre.
La méditation silencieuse engendrée par la majesté des espaces voûtés appelle pour les emplir d’autres vibrations sonores, comme en écho aux rythmes architecturaux de ces larges nefs. Elle trouve une prolongation idoine par la lecture de la solide étude de Fanny Gribenski consacrée à l’utilisation des églises parisiennes comme lieu de concert entre la monarchie de Juillet et la crise de 1905. Reflet de la déchristianisation de la France au cours du XIXe siècle, l’historiographie a eu tendance à passer systématiquement sous silence l’importance des lieux de culte pour le monde musical. Sa « réflexion ouverte à la diversité des regards historiques » examine « l’émancipation de la musique du cadre liturgique ». Excepté la malencontreuse majuscule au mot église dans le titre, ce livre est remarquable et digne d’éloge. Cinq chapitres thématiques sur les mutations caractéristiques de la vie musicale par la transformation des églises en salles de concert éphémères articulent la démonstration.
Le premier examine comment l’État investit les églises à l’occasion de prières publiques, contribuant à « l’élaboration d’une mémoire nationale constamment retravaillée » : Te Deum en l’honneur de victoires militaires ou d’évènements royaux, prières pour les élections, pour la rentrée des Chambres, etc. Berlioz composa sa Symphonie funèbre et triomphale pour la commémoration des journées de Juillet 1830. Le retour des cendres de l’Empereur fut accompagné « de marches commandées aux compositeurs phares du monde lyrique. » « Dans l’histoire des célébrations du pouvoir civil à Notre-Dame, le Second Empire marque un moment de faste sans précédent, qui n’aura plus jamais d’équivalent. »
Mis en place par des organismes extra-paroissiaux comme l’Association des artistes musiciens, les concerts de charité sont ensuite évoqués de manière très fouillée à travers l’exemple de Saint-Eustache. Les Messes spécialement composées par Adam, Gounod, Dubois,… pour les cérémonies de la Sainte-Cécile furent exécutées devant des milliers d’auditeurs. Ces évènements se doublaient d’une mission sociale de secours mutuel.
Il fallut aussi reconstruire les orgues détruits ou endommagés à la Révolution, et équiper les 9000 églises édifiées tout au long du XIXe siècle ! De par ses enjeux commerciaux et technologiques, le secteur s’affirma comme un des fleurons de l’industrie française. « Le rôle des facteurs d’orgue comme organisateurs de solennités était demeuré dans l’ombre. » : les inaugurations d’instrument et les séries de récitals qui s’ensuivirent contribuèrent à la sécularisation des églises, lieux de promotion de la facture instrumentale et de la virtuosité des interprètes.
Dévotion importée d’Italie sous la monarchie de Juillet, les exercices du mois de Marie témoignèrent d’un renouveau spectaculaire de la piété. Dans cette partie intitulée « La Vierge et les Lorettes », l’auteur fait voler en éclat les « fort présupposés idéologiques » qui les décriaient, tels ceux rapportés par Flaubert dans Bouvard et Pécuchet. Leur succès populaire – renforcé par les apparitions mariales – attestait au contraire d’une réelle nécessité. L’engouement pour Marie transparut dans l’iconographie, suscita une floraison de motets et cantiques prolongeant l’offre musicale et permit une ouverture inédite car les éditeurs publièrent nombre de compositions religieuses écrites par des femmes.
L’ultime chapitre retrace l’aventure des Semaines saintes organisées par Charles Bordes de 1891 à 1902. Anticipant les directives du motu proprio de 1903 sur la restauration de la musique d’église, elles ressuscitèrent le répertoire ancien de Palestrina ou Victoria. Elles « apparaissent comme des ‘musées sonores’, marqués par des pratiques mondaines et savantes. » Avec le temps s’élabora « une définition de la musique sacrée étroitement articulée à une vision mythique de l’histoire de la musique ». Les références au passé étaient les indices d’une sacralité s’opposant à une modernité suspecte. Face à la difficulté d’exécution de certaines partitions, Bordes remplaçait les voix d’enfants par des voix féminines aguerries (plus ou moins clandestinement à cause de l’interdiction des autorités ecclésiastiques). L’auteur énumère bien quatre noms de femmes chantant au sein du groupe, mais pour une fois ne cite pas sa source : il est cocasse de souligner qu’ils proviennent en réalité d’une … caricature de Charles Constantin parue en 1903 ! (reproduite ci-dessous).
Fruit d’un long travail de documentation et de croisement de données, cet ouvrage constitue une mine d’informations éclairantes et la constante intelligence du propos force l’admiration. Il nous révèle comment, au cours du XIXe siècle, « les sanctuaires ont contribué à la grande transformation du goût musical. »
Illustration : Jan VAN DER VUCHT (Rotterdam, 1603 – 1637). Intérieur d’une église imaginaire de style Renaissance avec une coupole ouverte. 26,5 x 33,5 cm. Huile sur bois – Collection privée.