Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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En quelques mois, Notre-Dame est passé de vieille dame bien connue dans le quartier à chef d’œuvre mondial en péril puis à commun désacralisé et maintenant à producteur de nuisance… Sa sauvegarde est-elle elle-même en péril ?
Au mois d’avril, alors que Notre-Dame était en flammes, le président de la République a immédiatement annoncé qu’on allait la reconstruire « plus belle qu’avant ». Dans les jours qui ont suivis, le gouvernement a proposé un concours d’architecte pour lancer une nouvelle flèche au-dessus de la cathédrale. Aussitôt sont sortis des tiroirs de nombreux projets – tout prêts – pour imaginer une nouvelle toiture moderne, projets qui avaient tous en commun de pouvoir transformer le sommet de la cathédrale en promenade pour les touristes. Certains la voyaient tout de verre habillée, d’autres, écologie oblige, la concevaient végétalisée. Aucun n’envisageait de la refaire à l’identique.
On a dit aux Français qu’il fallait aller vite : cinq ans. Cela tombait bien car on pouvait dès lors imaginer une fastueuse inauguration pour les Jeux Olympiques qui doivent avoir lieu à Paris à cette époque. Compte tenu de ce contexte on a vu ressortir aussi le projet d’aménagement touristique de l’Île de la Cité, élaboré sous le quinquennat de François Hollande et qui avait donné lieu à une maquette présentée par le conseiller du président de l’époque. Les bâtiments de la Police judiciaire étaient devenus disponibles ainsi que ceux du Palais de justice. L’hôpital des Quinze-Vingts était en cours de déménagement et voici que Notre-Dame pouvait être aménagée pour permettre aux touristes, arrivant par la Seine, de débarquer à ses pieds, parcourir le parvis sous une dalle de verre, au milieu de tous les marchands du temple, et aller visiter ce qui devait devenir le premier site touristique de France.
Ce sont d’abord les chrétiens qui ont tenu à rappeler que les cathédrales sont avant tout des lieux de culte et que, si Notre-Dame avait été nationalisée en 1905, l’Eglise en est toujours l’affectataire unique. Ce n’est pas parce que la cathédrale accueille tout le monde gratuitement et sans aucune discrimination que Notre-Dame doit perdre son âme. Puis ce sont les architectes et les historiens qui se sont inquiétés de voir que le gouvernement faisait bien peu de cas de la convention de Venise pourtant signée et ratifiée par la France et en vertu de laquelle tout monument historique doit être restauré selon son dernier état connu. Ce sont encore les artisans, compagnons et forestiers français qui ont fait savoir qu’ils étaient capables de restaurer ce chef d’œuvre à l’identique – et dans les délais fixés par le chef de l’Etat –, rappelant au passage la foi des compagnons bâtisseurs du Moyen-Âge dont ils sont les héritiers. Enfin, l’émotion aidant, l’argent promettait d’être au rendez-vous. On a alors assisté à un brusque changement d’attitude.
La toiture qui a flambé était en plomb et les particules de métal en fusion ont pollué non seulement l’intérieur et les abords de la cathédrale mais aussi tout le quartier. Suivant les préconisations de l’inspection du travail, le préfet de police a décidé d’interrompre le chantier de consolidation tant que l’on n’aurait pas pris les mesures nécessaires pour assurer la santé publique : installation d’un tourniquet à l’entrée et nécessité d’un badge individuel pour pouvoir le franchir ; mise en place d’un pédiluve et de douches supplémentaires pour permettre à tous ceux qui auraient l’autorisation d’entrer dans l’enceinte interdite de se décontaminer en sortant. Et, comme on n’est jamais trop prudent, obligation de troquer ses vêtements contre une combinaison intégrale – ce qui ne facilite pas le travail – jetable, chaque fois qu’on pénètre sur le site. Selon le journal Libération du 13 août 2019, « sur le chantier, chacun a interdiction de boire pour éviter d’ingérer des poussières de plomb ». Danger oblige. Jamais on n’avait autant médiatisé les précautions prises, pas même pour les centrales nucléaires.
Certes, ce luxe de précaution a présenté quelques inconvénients. En suspendant le chantier, on a couru le risque de voir des pierres tomber de la voûte. Puis, la canicule aidant, ce sont des infrastructures qui n’ont pas été consolidées très vite et qui ont donc continué à se dégrader. Que se passera-t-il si des orages ou une vague de froid vient demain perturber le chantier ?
Maintenant qu’il est connu, on ne peut plus faire courir aux foules le risque qui résulte d’une technique dépassée. Désormais, la preuve est faite que la voûte en pierre est fragile. Peut-être sera-t-il donc judicieux de la remplacer par une voûte en matériaux plus modernes. Quant au plomb, il est inenvisageable de le réutiliser pour la couverture. L’adjointe au maire de Paris chargée de la santé, Anne Souyris, a confié à La Croix, le 14 août : « notre travail actuel doit être la base d’une action plus globale contre le plomb dans toute la ville ».
Convention de Venise ou non, il serait donc inconvenant que l’on refasse la toiture à l’identique. Le principe de précaution est bien inscrit dans notre Constitution et l’opinion est maintenant consciente du danger que font courir les cathédrales de France qui ont le même type de toiture. Est-ce pour cela que la direction régionale des affaires culturelles des Pays de la Loire a commandé la « numérisation » des cinq cathédrales qui s’y trouvent ? A quelque chose malheur est bon !
Si rien ne s’était produit, personne n’aurait osé proposer de fouiller le parvis, et encore moins l’intérieur de la cathédrale. Mais, compte tenu de ce qui s’est passé, pourquoi ne pas en profiter ? Le journal Libération, décidément bien inspiré a donc proposé toujours l’avant-veille de la fête de l’Assomption de Marie, Reine de France : « il faut profiter des travaux pour ouvrir le sol de la cathédrale ». En effet, « le sol a été terrassé au XIIe siècle et les terrains ont probablement été comblés avec des bâtiments démolis qui se trouvaient autour. Doivent donc s’y trouver toutes sortes d’éléments archéologiques, sculptures ou mosaïques d’une valeur probablement inestimable ». Et une fois que les fouilles auront été entreprises, le plus simple sera de recouvrir la partie dégagée par la dalle de verre qui permettra aux touristes d’admirer ce qui restera du vaisseau, y compris pendant les offices.
Pour toute âme bien née, une seule chose est sûre maintenant : le combat pour Notre-Dame ne fait que commencer !