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Le Bon, la Brute et le Juge

Un épisode intéressant de la guerre entre distributeurs et industriels vient de se produire. Intermarché a rendu publique, le 6 janvier, la menace de Coca Cola de ne plus lui fournir son produit emblématique si le distributeur n’accepte pas d’acheter toute la gamme : « Coca-Cola a décidé unilatéralement d’arrêter de livrer Intermarché et Netto sur l’ensemble de ses gammes » (Coca-Cola, Fanta, Sprite, Fuzetea, Honest, Tropico, Caprisun et Monster).

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Le Bon, la Brute et le Juge

Les industriels fabricants des produits de “grande consommation” sont le plus souvent en position de faiblesse face aux grands distributeurs (Carrefour, Auchan, Leclerc, Intermarché, Casino, Système U…), et ce pour au moins deux raisons : un grand distributeur pèse entre 12 et 20 % du chiffre d’affaires d’un fabricant qui, quant à lui, ne pèse guère que 1 à 2 % du chiffre d’affaires de ce distributeur ; le refus de vente est un délit prévu et sanctionné, tandis que rien n’interdit à un distributeur de ne pas acheter tel ou tel produit.

Dans un tel contexte, l’arme absolue du distributeur est le déréférencement, c’est-à-dire la décision de ne plus proposer tel ou tel produit à ses clients. Sachant que, la plupart du temps, un consommateur qui ne trouve pas un produit X en rayon se rabat sur le produit Y plus ou moins comparable, il est clair que cette démarche porte préjudice au fabricant X sans trop nuire au chiffre d’affaires du distributeur.

Des produits “non remplaçables”

Il y a pourtant quelques produits qui échappent à cette menace : les produits que – à tort ou à raison – le consommateur considère comme “non remplaçables”. Le Coca-Cola fait partie de ces produits. Dans les années 90, on savait qu’une rupture de Coca-Cola faisait baisser non seulement le chiffre d’affaires du rayon sodas mais aussi celui des autres rayons, parce que les clients allaient ailleurs. Je ne sais pas si c’est encore vrai ; mais il n’est de toute façon pas excessif de parler d’une position dominante de la société Coca-Cola (qui détient entre 75 et 90 % du marché des colas).

Comme Intermarché l’expliquait, « le marché des softs est en baisse significative de volumes : – 3,2 % sur les 12 derniers mois cumulés. Nos clients souhaitent en effet des produits plus sains pour préserver leur santé dans le long terme. Ils arbitrent également en défaveur des produits qui ont un impact négatif sur l’environnement, délaissant de plus en plus les contenants en plastique et privilégiant les aliments peu transformés, issus des filières agricoles locales. » Et donc Intermarché voulait moins de produits Coca-Cola, qui a réagi au déréférencement possible de certaines de ses marques secondaires par un refus de livrer le produit phare, ce qui est juridiquement répréhensible mais commercialement efficace, puisqu’une action juridique risquait de prendre des mois et des mois, pendant lesquels le chiffre d’affaire d’Intermarché aurait été fortement influencé à la baisse.

La planète va mieux

Bien évidemment, de son côté, Intermarché se parait des plumes du paon en donnant de magnifiques justifications éthiques (défense de la santé des consommateurs, des PME, de la nature et du goût) à ce qui n’est qu’une toute bête démarche d’optimisation des étagères et, donc, du profit. Dans la réalité, Intermarché est éthique dans la stricte mesure où la profession l’entend et s’est rarement privé d’étrangler les PME, les agriculteurs ou les éleveurs (la profession vend encore à perte, malgré la loi EGalim) ou si cela peut lui permettre de gagner quelques sous de plus. Coca-Cola, de son côté, lors du show (pardon, “sommet”) « Choose France » (!) de Macron, a annoncé de gros investissements, le lancement de boissons saines et des emballages en carton : la planète va déjà mieux.

Mais la justice, le 14 janvier, a forcé Coca-Cola à reprendre ses livraisons pendant soixante jours, sous peine d’une astreinte d’un demi-million d’euros par jour (équivalent à une journée de vente de ses produits dans cette enseigne) : l’abus de position dominante a été retenu. Les deux groupes ont jusqu’au 1er mars pour s’entendre. Ils se félicitent déjà, par voie de presse, du dialogue sincère qui a toujours été leur ligne de conduite.

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