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Lalo Schifrin, l’Aleph de la musique

Alors qu’il venait à peine de souffler sa quatre-vingt-treizième bougie, Lalo Schifrin, compositeur de ce qui reste, probablement, comme l’un des plus célèbres génériques de la télévision avec Mission Impossible (débutant par un riff aussi reconnaissable que les premières notes de la Cinquième de Beethoven), s’en est allé pour un monde réputé meilleur. Schifrin mérite d’autant plus les honneurs de cette chronique qu’il fut un musicien et musicologue hors pair.

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Lalo Schifrin, l’Aleph de la musique

S’il reste évidemment connu pour certains airs – dont le thème du film Le Renard (de Mark Rydell, 1967), qui accèdera en France à la notoriété grâce à une célèbre marque de collants –, son œuvre aussi vaste que kaléidoscopique en fait un compositeur et arrangeur aux réfractions typiquement borgésiennes. La comparaison n’est pas mince pour celui qui, précisément, aimait à citer son compatriote, natif, comme lui de Buenos Aires. À l’instar de la nouvelle éponyme écrite par ce dernier, Schifrin, de son propre aveu, était un Aleph, soit « l’endroit secret vers lequel convergent tous les points de l’univers ». En lui, en effet, se concentrait, dans un camaïeu de sonorités et d’influences aussi hétéroclites que parfois fort anciennes, près de trois mille ans d’art musical – ce qui le rapprochera de Bruce Lee qui, non content de s’entraîner quotidiennement sur la musique de Mission impossible, lui confessera avoir étudié, à son tour, cinq mille ans d’arts martiaux ; Schifrin composera l’excellent thème d’Opération Dragon (1973) et poursuivra avec la série des Rush Hour (1998, 2001, 2007) avec Jackie Chan. C’est que Schifrin baigne depuis sa plus tendre enfance dans la musique – son père était premier violon dans l’Orchestre philarmonique du Théâtre Colón. À l’âge de cinq ans, il est initié au piano par Enrique Barenboim, l’oncle de Daniel. Ensuite, sous la houlette du dodécaphoniste argentin Juan Carlos Paz, il s’éveille à sa vocation de toujours : la composition. Puis, à vingt ans, il décroche une bourse et s’en va suivre les cours du Conservatoire de Paris, sous la direction d’Olivier Messiaen. Surtout, le jeune Schifrin découvre, presque en fraude de ses aînés – et notamment de son père qui exécrait le genre – le jazz, dont il se procurait clandestinement les disques de Charlie Parker et de Thelonious Monk.

Fondamentalement, Lalo Schifrin était un jazzman

Fondamentalement, Lalo Schifrin était un jazzman et toute sa composition s’en ressent, ce qui confère à son œuvre une tonalité chaude et une rythmique singulière – qui est en même temps sa signature – lesquelles s’alimentent aux sources du baroque, du symphonisme américain (à la Gershwin, par exemple), de la bossa nova, de l’opéra italien, ce, pour former un incroyable creuset où orgue et big band, par exemple, se combinent allègrement. À Paris, s’il suit assidument le Conservatoire le jour, est-ce pour mieux s’enfoncer dans la moiteur enfumée et conviviale des clubs de Saint-Germain-des-Prés où il se produisait en combo jusqu’aux heures les plus indues de la nuit – il y croisera Michel Legrand. Mais c’est sa rencontre avec Dizzy Gillespie, « l’un de [ses] dieux vivants », qui s’annoncera décisive pour la suite de sa carrière – rencontre qui lui devra également de croiser la route de Clarence Avant, l’imprésario de Stan Getz, qui le lancera sur la rampe d’Hollywood, notamment via le label Verve, propriété de la léonine MGM. Avec Gillespie, il se forme (« j’ai eu de nombreux professeurs, mais un seul maître, Dizzy ») et se révèle des plus brillants comme pianiste, arrangeur et chef d’orchestre, jusqu’à Gillespiana, en 1960, et New Continent (produit par Quincy Jones), en 1962, deux albums orchestraux qui assiéront sa réputation dans le monde relativement select du jazz. Pour Schifrin, commence alors une longue période de créations originales et assez iconoclastes – son album Schifrin-Sade, mariage très réussi du jazz et de la musique européenne, en hommage au divin Marquis, est idiosyncratique, de ce point de vue, bien que Jacques Loussier, avec son Play Bach, eût remarquablement inauguré dans le domaine –, qui le mèneront vers René Clément pour lequel il composera la musique des Félins (1964) au lyrisme dissonant. S’ensuivront des partitions aussi mythiques que celles de Bullitt (Peter Yates, 1968), Dirty Harry (quatre des cinq de la série, entre 1971 et 1988), Luke la main froide (Stuart Rosenberg, 1967 ; Schifrin dénote, ici, avec une balade mélancolique pour cordes), Le Kid de Cincinnati (Norman Jewison, 1965 ; Ray Charles prêtera sa voix au thème principal), la série Mannix (1967-1975, série produite par Bruce Geller avec un Mike Connors au brushing toujours impeccable), Joe Kidd (John Sturges, 1972), etc. Pour l’éternité, demeure une œuvre raffinée, à la ligne claire et sophistiquée, ciselée et aux accents avant-gardistes. Génial Aleph.

 

 


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