France
Presque reine
Rien n’est plus agréable qu’une biographie bien menée.
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Louis XV est né et mort à Versailles. Il y a appris le coût de la gloire et la vérité des amitiés, il y a entretenu un dialogue constant avec la mort et avec Dieu. Il y a vécu en ménageant une vie privée, dont traite la première partie de l’exposition « Louis XV, passions d’un roi ». Nous montre-t-on vraiment les passions d’un roi, ou de ce roi ?
On nous montre ses amours, ses intérêts, les objets de son affection et de sa dévotion. Et, certes, quelques passions, comme la chasse (entre autres deux tableaux admirables et spectaculaires en témoignent, peints pour Choisy par J.-J. Bachelier, Un lion d’Afrique combattu par des dogues et Un ours de Pologne arrêté par des chiens de forte race), l’architecture (il s’enfermait pour travailler seul avec Gabriel ; « Sa Majesté ne respire qu’avec des plans et des dessins sur sa table » dira le marquis d’Argenson) ou le style rocaille. Louis XV n’aime rien tant que ces fausses ramures de bronze partant à l’assaut d’une commode ou jaillissant d’un mur pour accueillir des chandelles sur leurs tiges torses, ou encore acanthes s’épanouissant au bout d’une cordelière pour constituer un lustre où de minuscules architectures sont noyées dans la masse exubérante des végétaux. Il aime ce style au point qu’il encourage, décide, commande – influence et prescrit, dirait-on aujourd’hui. La commode de Gaudreaus (ébéniste) et Caffieri (bronzier), qui fut trente-cinq ans dans la chambre du roi, est comme un manifeste rocaille : le meuble, élégamment pansu, est soumis à l’étreinte dorée du bronze qui l’escalade comme les ronces recouvrent le château de la Belle au bois dormant, Caffieri ciselant et mêlant une végétation hybride où fleurs et rameaux se couronnent de formes évoquant « des coquillages, des ailes d’oiseaux et de chauves-souris ». On retrouve ces exubérances, assez domptées, somme toute, dans le décor de l’appartement de madame Du Barry, qui vient d’être restauré et rouvert au public, avec des moulures d’un vert ravissant tranchant sur le « blanc de Roi » des murs.
On les retrouve aussi supportant des microscopes, encadrant des cadrans et soutenant des globes. L’exposition s’ouvre sur une pendule fabuleuse, la pendule astronomique conçue par Passemant, si scientifique et merveilleuse que les révolutionnaires l’épargnèrent. Passemant passa vingt ans à calculer les mouvements du planétaire (exacts jusqu’en 9999 !), l’horloger mit douze ans à fabriquer les mécanismes, les Caffieri trois ans à ciseler l’horloge, haute comme un homme, étrange automate. Et que dire du microscope tripode ! Et d’une autre pendule de Passemant, La Création du monde, où le bronze différemment doré, argenté et patiné manifeste la séparation des quatre éléments, une gloire d’or éclatante représentant le feu, frappé d’une horloge en son milieu. Et des deux globes, terrestre et céleste, qui tournaient sur eux-mêmes pour accomplir leur révolution en vingt-quatre heures… Il n’est pas un détail de la vie du roi qui ne soit une œuvre d’art.
« Louis XV, passions d’un roi » accumule ainsi les pièces exceptionnelles, arrivant de toute la France et même de toute l’Europe. Ce n’est pas un répertoire du style Louis XV mais, voulant intelligemment se borner à un portrait du roi à travers ce qu’il a conçu, voulu, décidé, installé précisément (comme la délicieuse statue de L’Amour essayant une de ses flèches de Jacques Saly), aimé, vénéré, les commissaires n’ont pu faire autrement que d’étaler des splendeurs, tableaux, sculptures, orfèvreries… et quelques objets aussi surprenants qu’émouvants, comme ce livret des Cours des principaux fleuves et rivières de l’Europe composé et imprimé par Louis XV, roi de France et de Navarre, composé typographiquement par le petit roi âgé de huit ans, ou l’horloge en ivoire tourné et ajouré qu’il offrit à sa fille en 1770 : il était devenu virtuose en cet art où il s’exerçait depuis ses douze ans : pas une de ses résidences où il n’y en eut un. À travers les plans d’architecture annotés de la main du roi, à travers les instruments scientifiques, ses bibliothèques (on estime qu’un cinquième des livres y traitaient de sujets religieux) et toutes les pièces rassemblées, c’est Louis XV « dans son particulier » qui se révèle tel qu’en lui-même, débarrassé du badigeon improbable et tenace de sa légende noire.
Illustration : Vue de l’exposition : spectaculaire rocaille. © château de Versailles / T. Garnier
Pendule astronomique de Louis XV, Claude-Siméon Passemant (1702-1769), H. 226 cm ; L. 83,2 cm ; Pr. 53 cm, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon © Christophe Fouin
La pendule de Passemant est un concentré de science, de précision et même de talent un peu fou. Après l’avoir livrée, Passemant se déclara « Ingénieur du roi pour les ouvrages qui donnent une juste mesure du temps et représentent les mouvements célestes avec la plus grande exactitude aussi bien que pour les microscopes et les télescopes de réflexion ». Le mécanisme, qui permet de connaître l’heure à la seconde près et de faire tourner tout le système solaire, cependant qu’une Terre cloutée de pierres précieuses (une par ville) indique si le soleil l’éclaire, est visible à travers des fenêtres ménagées et grâce au miroir installé derrière la pendule, qui pouvait fonctionner six semaines sans être remontée. Petit miracle d’ingéniosité, « la pendule comporte un mode de démonstration. Grâce à un système de désengrenage, la mécanique céleste peut être commandée à la main tout en conservant la mémoire du réglage initial : il est alors possible de faire tourner en accéléré l’ensemble du système solaire, permettant ainsi de prévoir le mouvement des astres et les éclipses sur plusieurs siècles. »
L’Amour essayant une de ses flèches, Jacques Saly (1717-1776), 1753, Paris, musée du Louvre. © Musée
du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Hervé Lewandowski
Jacques Saly livra L’Amour essayant une de ses flèches à Madame de Pompadour en 1753. Elle ne s’en sépara jamais, quelle que soit sa résidence. Il est inscrit sur la lanière du carquois : Duo tela unus amor « Deux armes, un amour », sujet tiré d’Ovide). Cupidon, pour montrer à Apollon que sa force n’est rien à côté de son pouvoir, s’apprête à décocher deux flèches, l’une qui fera naître l’amour chez Apollon, qui la recevra, l’autre qui le rendra détestable à Daphné, l’objet de son amour… Le petit dieu potelé sourit avec satisfaction à l’idée du méchant tour qu’il s’apprête à jouer et cette grâce acide fait tout le charme de la sculpture – admirable en tout point par ailleurs, jusqu’à son piédestal, réalisé par Jacques Verberckt à qui on doit, entre autres, la chambre de Louis XV et le cabinet de la pendule, à Versailles.
Main droite de la statue équestre de Louis XV, Edme Bouchardon (1698-1762), 1758, Paris, musée Carnavalet, dépôt du musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre)
Voici la main de la statue de Louis XV que Bouchardon avait sculptée pour la place Louis XV, devenue place de la Révolution en 1792 : élaborée en quatorze ans, haute de cinq mètres, fondue en un seul jet en cinq minutes et quatre secondes, elle fut détruite en 1792, refondue comme toutes les statues de Louis XV des Lemoyne, remplacée par une statue de la Liberté en plâtre, qui regardait les Français être massacrés sur la place de la Révolution où la guillotine fonctionnait à plein régime ; il n’en reste plus que cette main gigantesque et gracieuse, posée doucement sur l’extrémité d’un bâton de commandement. La place de la Révolution devint place de la Concorde en 1800, grand espace entre l’Élysée et l’Assemblée, où des mains autrement plus pesantes exigent des Français qu’ils les admirent.