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La nature éternelle face à la déraison humaine.

Aristote comme antidote au wokisme.

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La nature éternelle face à la déraison humaine.

Nos temps troublés, agités et instables ont vu récemment apparaître des signes inquiétants d’obscurs renversements épistémologiques qui, s’ils ne se trouvent pas rapidement dissipés par un rétablissement vigoureux de la droite raison, risquent de faire prendre à notre vieil Occident fatigué une orientation rétrograde, aux antipodes du progrès, prétendument émancipateur, défendu par leurs zélotes les plus enragés. Qu’ils aient, tout uniment, pour noms – forgés à coups d’anglicismes ou de barbarismes – « études de genre », écriture inclusive, décolonialisme, intersectionnalité, wokisme, transhumanisme, ne les rend pas moins dangereux, tant ces nouvelles appellations parviennent difficilement à masquer la persistance, cinquante ans après leur implémentation au sein des campus américains, d’une pseudo-pensée oscillant entre non-sens dogmatique de type althussérien – rendant impossible toute réfutation critique – et élucubrations fuligineuses où l’excentricité drolatique frise avec l’aliénation pathologique. Ces signes n’ont rien d’anecdotiques et les fumeuses théories qui les engendrent « ne cessent de gagner du terrain, alors même que leur absurdité patente aurait dû les disqualifier depuis longtemps », assène le philosophe Jean-François Braunstein (La Religion woke, Grasset, 2022).

Il ne nous appartient pas de retracer la généalogie de ce phénomène que l’on peut bien qualifier d’effondrement de l’intelligence de l’âme – au sens d’Aristote. L’urgence, hic et nunc, commande pratiquement de dégager la formule antidotique susceptible de faire pièce définitivement à la prolifération de ces virus idéologiques qui concentrent l’essentiel de leurs attaques sur l’unique cible de leur ressentiment : la nature. L’on doit principalement à Aristote (384-322 av. J. -C.) d’avoir fait accéder la nature au rang de concept invariant, que ce soit en philosophie, en anthropologie, en physique ou en biologie. Que l’on en juge par cette définition extraite de sa Métaphysique : « Nature [phusis] signifie le mouvement initial qui se retrouve dans tous les êtres naturels […]. Nature peut signifier aussi la matière première des choses. […] La matière première est encore la forme et l’essence des choses, puisque c’est là aussi l’objet final de tout ce qui se produit et se développe. […] D’après tout ce qui précède, la nature, comprise en son sens premier, et en son sens propre, est la substance essentielle des êtres qui ont en eux-mêmes le principe du mouvement, en tant qu’ils sont ce qu’ils sont. » La nature est donc, littéralement, cette phusis en grec, c’est-à-dire ce qui pousse. Elle conditionne la vie même de tous les hommes, de leur naissance à la mort – et aussi au-delà de leur trépas. Au cœur de cette nature s’inscrit la loi naturelle, que Saint Thomas d’Aquin décrit comme la « participation de la loi éternelle [le cosmos divin] dans la créature raisonnable ».

Le wokisme contre la nature

Élève de Michel Villey, François Vallançon, hélas disparu il y a peu, proposait de voir trois choses dans la loi naturelle : « puisqu’il y a du clair et de l’obscur dans la nature, disons que la loi est une lumière : la loi naturelle, c’est ce qu’il y a de plus clair dans la nature. Parce qu’il y a du continu et du discontinu dans la nature, posons que la loi est une alliance : la loi naturelle, c’est ce qu’il y a de plus unifiant, de plus lié, dans la nature. Comme, enfin, il y a du stable et du changeant dans la nature, la loi, c’est la stabilité : à la loi naturelle d’être ce qu’il y a de plus immuable, de plus durable dans la nature. » (Michel Villey. Le juste partage, Dalloz, 2007). Mais ce qui nous permet de déceler la nature à l’œuvre, ce qui nous la rend intelligible dans sa pureté originelle, est-ce précisément le principe qui l’anime intrinsèquement, à défaut duquel toutes les autres constructions jusnaturalistes modernes relèvent de l’affabulation, voire de l’imposture. Aristote se trouve être à l’origine de ce que l’on appelle le droit naturel. Laissons provisoirement de côté l’aspect juridique – qui, chez Aristote (foin des positivistes kelseniens qui ravalent le droit au contenu vulgaire des lois et des règlements), avait intimement partie liée avec la justice – pour nous en tenir à la seule nature, porteuse, en elle-même, d’enseignements, pour peu que l’on ne veuille pas détourner les yeux du spectacle de ses leçons. Dans un passage fameux de sa Politique, le Philosophe donne de la nature une définition aussi profonde que limpide que, quelques longs siècles plus tard, le Docteur angélique fera accéder à une densité philosophique et théologique inégalée : « Ainsi l’État vient toujours de la nature, aussi bien que les premières associations, dont il est la fin dernière ; car la nature de chaque chose est précisément sa fin ; et ce qu’est chacun des êtres quand il est parvenu à son entier développement, on dit que c’est là sa nature propre, qu’il s’agisse d’un homme, d’un cheval, ou d’une famille. On peut ajouter que cette destination et cette fin des êtres est pour eux le premier des biens ; et se suffire à soi-même est à la fois un but et un bonheur ». Par le Logos, lui-même instruit par la loi éternelle intuitivement découverte par les antiques, – à laquelle l’Aquinate adjoindra la loi divine –, la nature d’une chose se révèle dans ce qu’elle a d’infiniment bon, de sublimement beau, d’irréfutablement vrai dans son essence. Le wokisme et ses sinistres avatars auront vécu que la nature subsistera dans son éternité. Il est même inscrit dans la nature du wokisme que celui-ci subira le retour de flamme de sa propre (contre)nature.

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