On ne se risque plus à présenter Alfred Hitchcock (1899-1980) qui est au septième art ce que Molière et Victor Hugo sont à la littérature, Raphaël et Michel-Ange à la peinture ou Bach et Beethoven à la musique.
Tout au moins rappellerons-nous brièvement les étapes marquantes de sa longue et riche carrière avant de portraiturer un film qui compte parmi les plus minorés de son œuvre cinématographique. Tout d’abord, la carrière de celui qui gagnera ses galons de « maître du suspense » commence en Angleterre, dans le cinéma muet, avec pas moins de neuf films, dont certains annoncent des thématiques qui deviendront des leitmotivs du cinéma hitchcockien (on pense particulièrement à son premier film, un mélodrame, The Pleasure Garden, 1925 ou encore à The Lodger, 1926, film criminel inspiré des assassinats de Jack l’Éventreur et qui inaugure les caméos dont le cinéaste sera dorénavant coutumier). Le premier film parlant (dont une copie avait été également tournée en muet) date de 1929 (Blackmail) et confirme la dextérité du réalisateur qui se montre aussi inventif qu’audacieux (notamment avec « l’effet Schüfftan », procédé ingénieux d’incrustation d’images). S’ensuivront, avant son départ pour les Etats-Unis en 1939, une floraison d’œuvres devenues de grands classiques tels Les 39 marches (1935), Quatre de l’espionnage (1935), Agent Secret (1936) ou Jeune et innocent (1937). À Hollywood, ‘‘Hitch’’, accompagné d’Alma Reville, indéfectible épouse et irremplaçable partenaire de l’ombre (ce qui fit écrire au critique américain Charles Champlin, « la touche Hitchcock avait quatre mains, et deux appartenaient à Alma ») se mettra volontiers au service de la propagande antinazie (Correspondant 17, Cinquième Colonne, Lifeboat), sans pour autant tout lui sacrifier, puisque la décennie verra éclore d’authentiques chefs-d’œuvre comme Rebecca (bien que tournée en 1939, il compte comme la première production américaine d’Hitchcock, produite, qui plus est, par le grand David O. Selznick), Soupçons (1941), La Maison du Dr. Edwardes (1944), Les Enchaînés (1946 ; de ce dernier film, François Truffaut dira qu’il est « la quintessence d’Hitchcock »). Ponctuées de succès commerciaux et populaires (L’Inconnu du Nord-Express, Le Crime était presque parfait, Fenêtre sur cour, La Main au collet, L’Homme qui en savait trop, Sueurs froides, La Mort aux trousses…), les années 1950 constitueront l’apogée du maître, lequel, au surplus, conscient de la place croissante qu’elle prend dans les foyers américains, s’essaiera à la télévision avec Alfred Hitchcock présente, une série de courts-métrages à suspense d’une trentaine de minutes à laquelle le public réservera le meilleur accueil. Les décennies suivantes verront des films comme Psychose (1960), Les Oiseaux (1962), Pas de printemps pour Marnie (1964) ou Frenzy (1971) qui comptent parmi ses plus belles réussites. Avec La Loi du silence (I confess, 1952), Hitchcock confirme l’étendue de son talent avec un film particulièrement décalé et, faut-il le dire, qui contraste avec le reste de sa filmographie. Il s’agit, rien de moins, que d’un polar aux accents ouvertement métaphysiques (Hitchcock ne cachait pas son intention de filer la métaphore de la Passion du Christ) qui s’attaque à la délicate question de l’inviolabilité du secret de la confession ; en l’occurrence, un prêtre catholique (magistralement interprété par un Montgomery Clift, sombre et tourmenté) est accusé d’un meurtre commis, en réalité, par celui dont il a précisément recueilli la confession. Le cinéaste brode sur sa thématique favorite de l’innocent injustement accusé. C’est François Truffaut qui fera pertinemment observer au réalisateur la parenté de son film avec L’Inconnu du Nord-Express (1950) où un homme endosse volontairement la culpabilité d’un autre. Patrick Brion le rapproche également de trois autres œuvres de sa période muette (The Lodger, 1926, Easy Virtue, 1927 et The Manxman, 1929) par sa dénonciation d’une foule au bord de l’hystérie appelant au lynchage du héros (ou de l’héroïne) qu’elle a déjà condamné. Entièrement tourné dans la ville de Québec, Hitchcock souhaitant que l’histoire se déroule dans un lieu dont la vieille architecture reflèterait la pesanteur des conventions sociales et morales, La Loi du silence fut censuré lors de son exploitation commerciale, en dépit des précautions prises par le réalisateur. Il apparaît aujourd’hui comme une œuvre incontournable, vraisemblablement la plus personnelle d’Hitchcock.