Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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François Lambert ne veut plus que l’affaire « en reste là » et publie un livre.
Pour beaucoup, Vincent Lambert fut un combat. Les uns conçurent un effroi terrible devant l’acharnement d’une partie de sa famille à lui préserver une vie, même amoindrie à ses expressions les plus sommaires, les autres ne comprirent pas qu’on pût souhaiter si ardemment interrompre les traitements d’un homme blessé. La victime d’un accident, homme au parcours inconnu de beaucoup des militants des deux camps, fut transformée en lutte politique, pire, en enjeu symbolique et donc en signe de division.
François Lambert était son neveu. Un neveu qui ne partageait pas les vues de l’autre pan de la famille. Mais qui s’engagea pour affirmer sa vérité dans le calvaire personnel et familial de Vincent Lambert. Lui qui avait voulu, le jour de la mort de son oncle, que « la suite reste intime »[1] a publié le témoignage de son action dans les débats et sa proposition personnelle : ni celle de l’Association Pour le Droit à Mourir dans la Dignité, ni celle des opposants à l’euthanasie, ni encore celle de la loi Léonetti. Un message troublant car il démontre l’incapacité de la loi à apporter une réponse humaine à cette situation foisonnante de retournements, de fracas et de haines.
Qui peut se pencher sans doutes sur le lit d’un mort ? Ni Clytemnestre, ni Œdipe, ni même Electre ne peuvent nous donner les clefs. La modernité espère dépasser les mythes, posant un progrès fléché de l’esprit humain, et s’avise d’introduire la loi en remplacement de l’antique Loi qui posait un interdit universel et qui offrait aux hommes de s’y tenir avec justice. Les législations successives invitent le juge à chaque étape de la fin de vie. La belle mort n’est donc plus affaire de conscience mais de droit.
C’est dans cet abime que François Lambert, comme tous les acteurs de l’affaire, voudrait se débattre. Une histoire qui a changé sa vie. Comme elle a changé la vie de l’épouse ou des parents de Vincent Lambert. Sauf que ces derniers appartiendraient à une foi qui « ne reconnait pas le divorce ou les enfants adultérins », c’est-à-dire la FSSPX dont on apprend que « l’aisance financière et l’influence dans les hautes sphères font que l’Eglise, qui tient à son unité, a toujours tenté de s’en rapprocher ». La description, d’une violence inouïe, des parents de Vincent Lambert aurait dû prévenir l’auteur que la simple décence exigeait qu’il révise son texte.
Comme le législateur, François Lambert part d’un principe : son avis est celui de la raison. Les autres sont « les obscurantistes », plus ou moins manipulés par « la Fraternité Saint-Pie X », posée comme une forme de Satan de notre temps, la loi, qui ne permet pas l’euthanasie et donc « évangélise », et les défenseurs de la survie de Vincent Lambert, qui auraient mené une « croisade ». C’est une opinion. Mais une opinion qui se penche avec bien des préjugés sur une situation éminemment complexe. Jusque dans ses solutions : il faudrait réduire le médecin à un exécutant de la volonté du patient, supposée définitive, et le juge à un autre exécutant, chargé de faire applique la volonté du patient, toujours aussi constante. Quant aux conflits familiaux, en cas d’absence de directives émises par le patient, ils devraient être soldés une foi pour toute. Il s’agit donc d’établir des procédures sans contentieux, des médecins sans conscience, des juges sans libre arbitre, des familles sans équivoques et des décisions sans faiblesses, puisqu’on conviendra que nul n’a le droit à une seconde chance quand il statue sur la vie d’un homme.
Ne plus réserver le service public de la justice à ceux qui sont du côté de la vie.
Pour François Lambert, la loi est mal faite car les tribunaux considéreraient trop souvent que « la seule certitude, c’est que la toute-puissance doit être du côté de la vie ». Un avis qu’il martèle, justifiant ses actions car il faudrait « ne plus réserver le service public de la justice à ceux qui sont du côté de la vie. » C’est son opinion. Qui la lui reprochera ? Sauf qu’écrit comme elle est écrite, elle montre bien que l’autre versant, mal caché derrière la libre disposition de soi, c’est la mort.
En somme, François Lambert pose la question de l’appréciation de la volonté d’en finir. Mais il imagine cette volonté comme un bloc, qu’il faudrait sortir du regard purement médical, pour la recentrer sur l’expression du patient et de ses proches à travers une médiation judiciaire. Exactement ce qui conduisit à l’affaire Vincent Lambert mais en y ajoutant une option suicidaire ou euthanasique. Comme si l’ouverture d’un chemin, assurément fatal, apaiserait les entourages et les situations.
L’expérience montre justement que c’est l’inverse qui advient et qu’à mesure que la loi dispute les interdits de la Loi, elle nous fait comprendre le signification précise de l’interdit naturel du suicide ou de l’euthanasie : nos volontés, comme nos vies, sont contraires, ambiguës, chancelantes, tortueuses. Comme nos agonies. L’euthanasie ou le suicide assisté n’y changeront rien. Ils ouvriront simplement plus grandes les portes de la mort.
[1] https://www.sudinfo.be/id129835/article/2019-07-11/pour-son-neveu-laffaire-vincent-lambert-se-termine-aujourdhui