La grande conversion de François Huguenin constitue une précieuse synthèse sur les relations entre l’Église et la liberté.
François Huguenin avait déjà écrit sur la question de la liberté ou du conservatisme. Cette fois-ci, il aborde un sujet controversé, particulièrement sensible dans la sphère ecclésiale : la liberté religieuse, qui est en fait une liberté politique. Fort d’une bonne culture et d’une érudition fouillée, l’auteur rappelle tous les textes pontificaux et ecclésiaux sur la liberté. Il analyse les controverses passées, les blocages, puis le contexte actuel. À la suite de la Révolution, l’Église a condamné les libertés modernes, l’exemple le plus emblématique étant celui du Syllabus de Pie IX, puis a changé radicalement d’attitude avec la déclaration Dignitatis Humanae de Vatican II, du 8 décembre 1965. Le raisonnement serait le suivant : si l’Église a récusé les libertés modernes, c’est à cause d’une cristallisation due à un « corpus » créé à partir du Moyen-Âge et en vertu duquel les changements des temps modernes (la sécularisation de l’État, la liberté reconnue aux cultes, etc.) devenaient difficilement acceptables.
Des précisions clarificatrices
L’étude par l’auteur des positions « médiévales » est minutieuse. Il clarifie ainsi le concept d’« augustinisme politique », expression qui connaît sa fortune à partir des années 1930 à la suite d’un article d’Arquillière et qui postule « une absorption du temporel par le spirituel ». Or saint Augustin n’a jamais nié l’autonomie du politique : il a simplement récusé la « tentation idolâtrique du politique […] qui consiste à penser que la perfection est de ce monde et du ressort du pouvoir politique » (p. 243). L’auteur refuse aussi une vision « pessimiste » selon laquelle celui qui pèche ne saurait bénéficier d’une liberté ; c’est le défaut d’un certain traditionalisme de s’enfermer dans une attitude « surnaturaliste ». On appréciera aussi sa juste interprétation du commentaire de saint Thomas d’Aquin sur l’Évangile de Jean selon lequel celui qui commet le péché est esclave du péché (Jn 8, 34) et selon lequel la vérité rend libre (Jn 8, 32) : « nulle part, il n’est question de priver l’homme d’une liberté d’agir parce qu’il pourrait faire le mal, mais de lui enjoindre de faire le bien pour ne pas être esclave du péché » (p. 177 notamment). Peut-être eût-il été plus judicieux de partir de cette liberté d’agir que le péché (originel ou non) ne gomme pas.
Des points à préciser
La liberté religieuse reconnue à Vatican II a fait couler beaucoup d’encre. Pour un certain nombre de catholiques – traditionnels ou non –, elle constitue une rupture par rapport au magistère des papes précédents Paul VI, voire Jean XXIII. Pour d’autres, elle doit être vue dans la continuité avec les magistères précédents. L’auteur connait bien ces débats qui ont agité le milieu traditionaliste et rappelle ces études dans la mouvance des bénédictins du Barroux ou des dominicains de Chémeré-le-Roi. L’auteur est sceptique sur l’idée de la continuité avec le magistère d’avant Vatican II et admet une rupture au nom d’un changement d’ethos, où l’on s’affranchit d’une construction théologico-politique qui n’était pas si traditionnelle. Les défenseurs « traditionnels » de Dignitatis Humanae ont analysé la liberté religieuse comme une immunité de contrainte. Pour l’auteur, il n’y aurait pas de différence entre une liberté et une immunité de contrainte. Dans la pratique, le résultat peut être le même (l’admission de la liberté de culte), mais peut-on affirmer que c’est identique ? Le for interne au nom duquel l’Église ne s’immisce pas dans les consciences pourrait servir de base à des développements. Si ce for doit être protégé, il existe difficilement sans « supports » externes : la possibilité de s’exprimer, de disposer de biens mobiliers et immobiliers, etc. Une immunité de contrainte exige nécessairement un minimum de consistance extérieure. C’est peut-être un aspect qu’il aurait fallu creuser. Les positions du magistère préconciliaire s’inscrivent dans des contextes de coercition relative, moins importants qu’avant la Révolution française, mais pas complètement assouplis à la différence des sociétés occidentales contemporaines. Mieux : entretemps, l’Église du XXe siècle s’est heurtée non à des États libéraux et indifférents, mais à des États totalitaires, violemment coercitifs et dispensateurs d’idéologie officielle. La réflexion de Vatican II peut être un approfondissement de cette notion de for « externe » à la lumière de circonstances troubles et de sociétés faiblement coercitives (quoique…). Si les « pieuses interprétations » sur Vatican II ne convainquent pas, les thèses « rupturistes » tombent curieusement dans le travers qu’elles dénoncent : la difficulté à contextualiser des énoncés. Pourtant, le nouvel ethos dont parle l’auteur est bien une contextualisation, lequel rappelle opportunément au début de son étude que la pensée politique n’est pas un « pur objet de laboratoire ».