Civilisation
À la recherche du XVIIIe siècle
Le père de Berthe Morisot, préfet à Limoges, y créa un musée des Beaux-Arts. Une des premières œuvres données fut un ravissant portrait de Nattier.
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«Les Animaux du Roi », exposition qui vient de s’ouvrir au Château de Versailles, fait le pari de traiter le thème animal sous tous ses aspects : connaissance scientifique, animaux de labeur, motif artistique, représentations culturelles…
Pari fructueux : à une époque où l’animal est présent au quotidien dans toutes les vies (source énergétique, moyen de locomotion, auxiliaire domestique, sujet d’étude ou métaphore immédiate), il est certain que le Roi et sa cour, aussi avides de comprendre l’anatomie du caméléon que de chasser le chevreuil, avaient du monde animal une autre connaissance de la nôtre, une proximité qu’on ne peut plus qu’imaginer aujourd’hui. Coexistaient donc des animaux rares collectionnés dans la Ménagerie, tels le couagga et le casoar (on ne peut s’empêcher de penser que Louis XIV a voulu que Versailles soit comme la réduction du monde, ordonnée autour du soleil) et deux mille chevaux (répartis entre la Grande Écurie – chevaux de chasse et de guerre – et la Petite Écurie – chevaux de trait et de selle). On humiliait trois léopards anglais en bronze doré en leur faisant supporter un candélabre célébrant l’Indépendance américaine et on peignait avec tendresse les chiennes du Roi – qui d’ailleurs avait installé le cabinet des Chiens à l’entrée de ses appartements privés et allait souvent leur donner, après son propre dîner, quelques biscuits cuits à leur intention (il nourrissait aussi les carpes des bassins).
L’exposition nous emmène ainsi dans la découverte d’un monde foisonnant, où l’animal est tout à la fois compagnon familier et symbole politique, qu’il s’agisse de moquer les Anglais avec un paon ou d’admirer un éléphant offert en 1668 par le régent du Portugal. Les animaux naturalisés (à l’académie des Sciences et au Jardin du roi) trônent face à leurs portraits, et le grand léopard doré du traîneau de Louis XV, avec lequel il disputait des courses dans le parc enneigé, tourne le dos à une antilope d’Oudry. On sent, comme le désirent ceux qui conçurent cette exposition, que les animaux ne sont pas juste de plaisants motifs de décoration mais des êtres dignes d’attention, dotés de sensibilité, de sentiments et peut-être même de personnalité. La cour savait que l’éléphant dessiné par Pieter Boel (qui bénéficia d’une très belle petite exposition au Louvre, en 2002) aimait briser ses entraves et se promener dans la Ménagerie, où il effrayait les oiseaux, ou se venger de ceux qui se moquaient de lui en les arrosant d’eau. Les chiens bien-aimés eurent leurs portraits et même le Général, magnifique chat noir de Louis XV qu’Oudry représente examinant un lièvre.
Si cette approche totale du “fait animal” est intéressante par les rapprochements qu’elle opère entre divertissement, art et science, il n’en demeure pas moins que le véritable charme de l’exposition, agréablement scandée par les thèmes regroupant peintures, objets, dépouilles et livres (ou reconstituant telle ou telle splendeur disparues, comme le Labyrinthe et ses sculptures polychromes), tient aux œuvres peintes et sculptées où éclate soit un génie d’observation habile à saisir la qualité décorative du sujet représenté, exact dans ses attitudes et éclatant dans ses couleurs, comme la Grue à aigrette de Boel, soit le meilleur du Grand Siècle, comme les monumentaux Chevaux du Soleil de Guérin et Marsy, chaque artiste sculptant deux chevaux, les uns s’abreuvant (Guérin), les autres étant pansés par des tritons (Marsy). Juste dételés du char d’Apollon-Louis XIV, servi par des nymphes (troisième groupe, de Girardon), ils se cabrent et sont tout à la joie de leur liberté retrouvée. Venant à peine d’être restaurés, ils offrent au spectateur un moment de pure exaltation animale, d’une vitalité extraordinaire.
Ces chevaux ainsi mis en scène contrastent avec les théories d’oiseaux de Pieter Boel qui excelle à croquer au naturel les oiseaux de la ménagerie, immobiles et attentifs ou s’agitant. On sait que Le Brun et Desportes s’inspiraient de ces études libres et vives dont on ne retrouve jamais la saveur dans les tapisseries des Gobelins qui les prenaient comme modèle. Le chef d’œuvre de l’exposition est sans doute l’antilope d’Oudry dont nous parlions plus haut. Trois chiens et une antilope date de 1745. Contre une façade classique, où on a accroché, retour de chasse, un colvert et un faisan, l’antilope – sans doute une antilope cervicapre – parade avec un rien d’ostentation, comme un modèle prenant la pose, cependant que trois chiens retenus par des laisses s’étirent pour flairer le gibier et la bête exotique. Moment de fantaisie mais qu’on jurerait vrai, tant les attitudes sont naturelles, et surtout fable à la morale indécise, qui nous montre l’Animal, compagnon ou nourriture, serviteur ou cadeau, irréductible à une seule fonction et forcément mystérieux. n
Les Animaux du Roi. Château de Versailles, jusqu’au 13 février 2022
Illustration : Vue de l’exposition © Château de Versailles / D. Saulnier