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La bêtise pense

« Le drame de notre temps, disait Cocteau au début du siècle précédent, c’est que la bêtise se soit mise à penser. » Depuis, la bêtise qui pense a obtenu tous les diplômes, elle s’est travestie en savants, professeurs, maîtres en tous savoirs, elle gouverne le monde et opprime l’intelligence, partout où elle la trouve, et elle s’échine particulièrement à l’empêcher de se développer chez les enfants.

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La bêtise pense

Voilà ce que Patrice Jean nous fait voir dans son roman Rééducation nationale (éd. Rue Fromentin). Comme il en va souvent lorsqu’on traite de sujets aussi difficiles que celui de la bêtise, le roman est bien plus éclairant que n’importe quel essai de gros calibre, peut-être pour la raison que beaucoup d’essais épais sont des productions de la bêtise qui pense. Et remarquez la formulation : il s’agit bien de la bêtise qui pense, de la bêtise en majesté et non de tel ou tel imbécile, cette « Bêtise au front de taureau », qui est troupeau, horde, communauté. Car on ne peut penser intelligemment que seul. On peut même être sot tout seul. Mais pour être bête, il faut être mouton bêlant dans le flot panurgique, n’être qu’une tête de nœud dans la foule décervelée.

Ce qu’aime Bruno Giboire, le héros de Patrice Jean, c’est de participer à ce qu’il imagine être une entreprise de civilisation, et pour cela de se fondre dans « la légion des professeurs » qui servent le grand œuvre de la « rééducation nationale ». Bien plus que de transmettre des connaissances bien apprises, il aime « réfléchir aux pratiques pédagogiques » en équipe, car « penser seul l’attristait ». Il est fait pour être poussé par des cavaliers qui manient le lasso, bien plus que pour être à la tête d’une classe d’enfants ; d’ailleurs, il ne conçoit les élèves que comme un ensemble à mener vers les fêtes de fin d’année, les grandes cérémonies collectives de la remise des prix et des diplômes. Son rêve est d’entrer dans les affiches qui, comme les fresques du socialisme soviétique, héroïsent un peuple unifié pour le grand saut dans l’avenir radieux, que le progrès produira, c’est sûr.

Construire des ponts entre les élèves et les savoirs

Puisque nous sommes dans un roman, il est un personnage au milieu d’autres personnages, tous entraînés dans une intrigue palpitante – lui, en tout cas, y est particulièrement heureux, il a, comme il faut dire aujourd’hui, de belles poussées d’adrénaline, car chacun sait que le bonheur, ce n’est pas de vivre des émotions rares et riches, mais d’avoir les hormones en perpétuelle effervescence. Le lycée André Malraux de Nantes, où il commence sa formidable carrière, est un lycée comme on les aime dans la Revue pédagogique, avec ses meutes de professeurs conscientisés, totalement dévoués aux apprenants, à qui ils veulent donner les moyens d’être des citoyens à part entière grâce aux outils numériques que le progrès « génère ». Bien sûr, il y a quelques rétrogrades accrochés aux certitudes rances, adeptes d’une culture nauséabonde, mais globalement le corps professoral est admirable, avec de très jolies jeunes femmes qui voudraient bien parfois satisfaire leurs poussées hormonales. Cependant Bruno Giboire n’est pas homme à se laisser tenter par la perspective de « faire la bête à deux dos » et trois bourses (chut ! il s’agit d’un secret que vous découvrirez en lisant). Il ne rêve que de copies, de cours à préparer, d’inventions pédagogiques novatrices. Il voudrait même supprimer les vacances scolaires tant il est affamé de servir l’admirable institution qui l’a admis dans son sein.

Il est vite repéré par l’inspecteur, qui ne peut que louer son talent « à construire des ponts entre les élèves et les savoirs », avant de lui révéler que le fin mot de la pédagogie est de comprendre l’inutilité « d’insister sur les savoirs », puis d’avouer qu’il aime « quand les élèves s’amusent », et qu’il « donnerait toute l’œuvre de Proust pour un inédit des Rolling Stones ». Ce genre d’animal s’est fort multiplié ces dernières années. Pour faire court, le pauvre Bruno sera ostracisé par ses camarades sur un malentendu, et alors, bien seul « pour la première fois de sa vie, [il] ne pens[era] plus rien. » Serait-il sauvé ? Ce n’est hélas pas sûr. Je vous laisse découvrir par vous-même la suite de sa destinée désolante, avec ce viatique : la bêtise peut cesser de penser, elle n’en reste pas moins la bêtise.


Pour y échapper, il faut être né indemne, et encore, avoir reçu un système immunitaire en béton contre les miasmes ambiants. C’est le cas de Bernard Leconte, qui confirme son bon état général dans son dernier petit livre Je suis Ch’ti, mais je me soigne (éd. Héliopoles). À première vue, ce serait un guide touristique. Néanmoins, comme les photographies de ce genre d’ouvrages sont ici remplacées par des dessins fort drôles de Jean-Michel Delambre, on se prend à douter. Bernard Leconte se refusant à penser, il a soigneusement évité de nous mettre en rang pour visiter sa région sous sa houlette. Il nous invite plutôt à nous promener en écoutant son bavardage amical. Mais attention, ce n’est pas le bavardage d’un niquedouille. Il nous apprend des tas de choses, même s’il le fait comme on parle au fin fond d’un estaminet, une chope à la main. Sans vouloir en imposer, en reconnaissant ses ignorances, en préférant envelopper sa science dans des histoires de famille, des souvenirs de balades, des anecdotes rigolotes. Bref, on se sent bien, comme avec un vieux pote rencontré au coin de la rue, et qui se découvre une folle envie de vous tenir le crachoir afin de passer le temps agréablement.

Quand je dis que Bernard Leconte ne pense pas, cela ne veut pas dire qu’il n’a pas d’idées sur le monde ; cela veut dire qu’il se les forme en regardant autour de lui, en mettant en rapport ce qu’il voit avec ce qu’il a vu, et en en tirant – ou pas – des aperçus incontestables. Par exemple, il remarque qu’il y a encore beaucoup de blockhaus dans le Nord, qu’on a fait sauter quelques-uns de ces restes de l’invasion allemande, mais qu’on en a gardés pour servir aux paysans de remise, sinon de gîtes pour quelques malheureux ; cependant, il faut avouer qu’ils gênent l’évolution des tracteurs ; quelques pages plus loin, il s’attriste : « certains coins de notre région connaissent désormais l’invasion d’éoliennes arrimées au sol par d’énormes blocs de béton, qui valent largement les plus fiers blockhaus. » C’est tout. Il ne vous assène pas ses pensées tristes, il vous invite à conclure par vous-même, ou il vous laisse ne rien voir si cela vous chante. Voilà ce qui s’appelle user de son esprit avec honnêteté (je prends le mot comme Louis XIV le prenait, bien sûr, pour la raison que le grand roi aimait beaucoup Lille, comme nous le rappelle l’auteur avec un sérieux qu’adoucissent quelques drôleries de style).

Il adore les plaques commémoratives

Ailleurs, le voilà en Artois, qui cherche des plaques commémoratives. Il adore ça, les plaques commémoratives : il a déjà cherché à Gravelines celle de la maison où a séjourné Baudelaire et ne l’a pas trouvée, même en s’informant auprès de l’office de tourisme, où une charmante sotte aux « yeux de génisse » lui a permis de constater que « l’ignorance fait des progrès ». Bon, là-dessus, il arrive à Amettes pour visiter la maison natale de saint Benoît Labre, « intéressante » ; « non loin d’Amettes, à Cauchy-la-Tour », il cherche la ferme natale de Pétain. « Rien n’indique cette ferme, pas de flèche, pas de plaque, on ne veut pas. » Fin du chapitre. Au lecteur de penser, s’il veut. Bernard Leconte ne pense pas. Il observe, il dit ce qu’il a vu. Il aime voir mieux, plus, c’est pourquoi il s’intéresse à tout ce qui amplifie la vue, comme les hahas, qu’il définit à sa façon de garlousiau (p. 98 : c’est tout lui en trois ou quatre lignes). Pour bien voir, il aime ce qui est ramassé, comme les curiosités d’Esquelbecq, toutes rassemblées autour de la place, ou au contraire ce qui est au bout d’« allées rectilignes, bordées de beaux arbres bien alignés », un château pris dans la ligne de fuite, ou un monument sculpté par Maxime Real del Sarte (on appelle ces allées des drèves, mon cher Bernard, parce qu’elles vont droit au rêve…).

Il aime la géologie, un peu pour frimer, surtout pour dire ses souvenirs de cycliste éreinté par les pentes des monts de « la cordillère des Flandres ». Oui, ça existe, juste au flanc du « plat pays qui est le mien ». Avec lui, vous allez même trouver des prénoms originaux pour vos petits « bradés », vos chéris à naître ! Une presque dernière pour finir : tout le monde sait que Le Touquet est encore plus célèbre depuis que Macron y crèche. Mais savez-vous ce qu’en pense la tante Euphrasie ? Bernard Leconte va vous le dire. Il n’oublie pas non plus de vous préciser où trouver les meilleures frites, les meilleures bières, les fromages les plus humeux. Bien sûr, il vous renseigne sur les écrivains, surtout sur ceux dont il ne parle qu’en passant, afin de consacrer plus de pages à ce cher Bernanos, le meilleur peintre du Nord, occasion de faire quelques fines remarques littéraires sur l’art de mettre en scène des endroits connus en en faisant des lieux « plus marquants, plus vrais », et cela sans faire de chichi, sans sortir les grands mots des rhétoriciens, sans faire la bête, en somme, sans se permettre de penser. C’est comme cela qu’il se soigne, le ch’ti.

 

Rééducation Nationale, Patrice Jean, Rue Fromentin, 2022, 144 p. , 17 €.

Je suis ch’ti mais je me soigne, Bernard Leconte, Heliopoles, 2022, 172 p. , 9,90 €.

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