Rien n’avait préparé l’humble paysanne à s’adresser aux autorités politiques de son époque et personne ne lui avait appris à haranguer les foules. Elle excellera pourtant dans les deux domaines.
Sans aucune formation, autre que surnaturelle, elle excelle à s’adresser aux autorités et aux foules. L’objectif est quasiment insurmontable, surhumain. Comment une simple paysanne de seulement 17 ans peut avoir la prétention de s’adresser au roi ? Les difficultés commencent à Vaucouleurs, où elle se fait d’abord renvoyer chez elle par Robert de Baudricourt en se faisont souffleter. Elle commençait déjà à utiliser la rumeur publique pour faire connaître sa mission de faire sacrer le roi à Reims. Ainsi sa réputaion avait touché Charles, duc de Lorraine et le plus bourguigon des Bourguignons, qui la fait venir à Nancy pour entendre son message. Contrairement aux usages militaires l’ennemi est ainsi informé de ses intentions, sans y accorder de crédit, mais elle y gagne en légitimité sur le terrain médiatique. Elle revient auprès du seigneur de Vaucouleurs et ardent défenseur du roi sur les marches de l’Est. Il cède quand elle lui révèle l’échec des troupes royales lors de la journée des Harengs, alors qu’il doit en attendre plusieurs jours la confirmation.
Le 4 mars 1429, à Ste-Catherine de Fierbois, elle fait écrire une lettre au Dauphin pour demander une audience. Elle profite probalement du temps mis par les religieux à rechercher sur sa demande une épée enfouie derrière l’autel de ce lieu de pèlerinage militaire. Cet épisode singulier participe de la communication de la sainte, car elle construit sa réputation dans l’opinion publique. L’imagination populaire s’empare de l’événement pour en faire l’épée de Charles Martel, celui qui – heureux présage – avait repoussé les musulmans à Poitiers.
Jeanne est reçue à la cour. Ainsi que le relève le cardinal Touchet : « Ce commerce quotidien avec “des gens de grand état” aurait pu la griser, la déformer. C’était un très grave danger. La grâce de Dieu aidant, elle n’y trébucha point. Elle n’essaya jamais de se former aux manières et aux discours mondains. »[1]
Envoyée à Poitiers pour faire examiner sa foi et sa moralité, elle dicte sa première lettre aux chefs anglais. Pas encore nommée commandant en chef de l’armée, elle pose néanmoins un acte politique en s’adressant, à travers les Anglais, au peuple de France afin de lui faire connaître officiellement sa mission. La missive va être portée à ses destinataires et aussi affichée dans les villes de France. Son style ne pouvait que surprendre et édifier : « Allez-vous-en, Anglais ! Allez-vous-en ! Je ne vous demande que de vous en aller. Non seulement, je vous le demande, je vous le prie humblement. »[2] Elle veut ainsi mobiliser l’opinion publique, faisant ainsi preuve d’une science consommée de la communication.
Jamais une erreur, Jeanne a toujours le mot juste qui touche au cœur au bon moment. Le lundi 2 mai 1429, elle croise Jean de Macon, un docteur en théologie et un « très sage homme » :
– Ma fille, êtes-vous venue pour lever le siège ?
– En non Dé, ouy.
– Ma fille, ils sont forts et bien fortifiés, et ce sera une grant chose à les mettre hors.
– Il n’est rien d’impossible à la puissance de Dieu.[3]
L’échange fait le tour de la ville, contribuant ainsi à affermir le moral des assiégés quelques jours avant la victoire d’Orléans.
Toujours actuelle à travers les siècles, Jeanne va jusqu’à inspirer une autre championne de la communication, sainte Thérèse de Lisieux en mai 1897 (A Jeanne d’Arc) :
Quand le Dieu des armées te donnant la victoire,
Tu chassas l’étranger et fis sacrer le roi.
Jeanne, ton nom devint célèbre dans l’histoire,
Nos plus grands conquérants pâlirent devant toi.
Mais ce n’était encore qu’une gloire éphémère,
Il fallait à ton nom l’auréole des saints.
Aussi le Bien-Aimé t’offrit sa coupe amère
Et tu fus comme Lui rejetée des humains.
Au fond d’un noir cachot, chargée de lourdes chaînes,
Le cruel étranger t’abreuva de douleurs.
Pas un de tes amis ne prit part à tes peines
Pas un ne s’avança pour essuyer tes pleurs.
Jeanne, tu m’apparais plus brillante et plus belle
Qu’au sacre de ton roi, dans ta sombre prison.
Ce céleste reflet de la gloire éternelle,
Qui donc te l’apporta ? Ce fut la trahison.
Ah ! si le Dieu d’amour en la vallée des larmes,
N’était venu chercher la trahison, la mort,
La souffrance pour nous aurait été sans charmes,
Maintenant nous l’aimons, elle est notre trésor.
Communication publique et surnaturelle.
Si au début, l’adversaire n’accorde pas de crédit aux prétentions de Jeanne, il va la prendre au sérieux devant ses succès à Orléans. Obligé de reconnaître ses compétences, il est réduit à leur donner une origine maléfique en la traitant de sorcière. C’est un aveu de faiblesse, une reconnaissance de ses échecs. Là encore, Jeanne a amené les Anglais sur son terrain en les obligeant à reconnaître la dimension surnaturelle de sa mission. Elles les défait sur le champ de bataille en les surclassant aussi en matière de communication.
Elle devrait être la patronne des journalistes et des chefs d’état, de tous ceux qui interviennent dans les médias. La question est devenue d’une acuité particulière à notre époque où le contact avec la population se fait par des intermédiaires artificiels, démultipliant la puissance de celui qui communique. L’accès aux médias transforme celui qui intervient. Passant du statut de petite paysanne à celui de conseillère du Roi, de commandant en chef de l’armée, elle devient une personnalité publique avec tous les inconvénients qui en découlent, idôlaterie pour certains, exécration pour d’autres. Les deux générant une exposition de la personnalité particulièrement dangereuse pour l’individu, il suffit d’observer les ravages opérés sur ceux à qui il a été permis d’intervenir dans la “petite lucarne”. Jeanne a su miraculeusement conserver son humilité dans cette épreuve, ce qui en fait un modèle pour notre époque. On peut en appeler à une Jeanne pour les temps que nous vivons, ne faut-il pas tout simplement suivre l’exemple qu’elle a donné ?
[1] Cardinal Touchet, La Sainte de la patrie, DMM, 1992, p. 175.