Bruno Le Maire offre le spectacle constant d’une intelligence qui tourne à vide et n’arrive jamais à saisir le réel sur lequel elle veut agir.
C’est que notre ministre est le pur produit d’un système qui ne prise que les « intelligences horizontales », selon le mot de Thomas Viain, intelligences qui confondent complexité et profondeur, considère qu’aucun sujet n’est trop difficile et, au final, sont si coupées de l’expérience, si entichées de technique, qu’elles glissent à la surface de la réalité, avec les catastrophiques conséquences qu’on connaît. Quel système scolaire et universitaire forme-t-il ces gens polyvalents mais sans relief ? Tout le mérite de cet essai, écrit par un énarque qui fut d’abord agrégé de philosophie, est de montrer que “l’élite” ne peut plus comprendre parce qu’elle n’acquière plus la hauteur de vue nécessaire grâce à une éducation qui pratique ce que l’auteur appelle l’enchâssement des savoirs, c’est-à-dire qui subordonne l’acquisition des connaissances aux fins sociales : on éduque pour servir son pays, son Roi, sa foi, on apprend un métier pour accomplir son devoir de sujet, de citoyen, de chrétien. Sans transcendance, les savoirs se juxtaposent et, plutôt que de chercher un intérêt général qui renvoie à une anthropologie et à une métaphysique, les horizontaux administrateurs de l’État chercheront des recettes managériales pour résoudre des problèmes successifs. La thèse est convaincante, étayée et, curieusement, revigorante : éduquons autrement, nous serons mieux gouvernés.
Thomas Viain, La sélection des intelligences. Pourquoi notre système produit des élites sans vision. L’Artilleur, 2024, 176 p., 18 €.