Les faits : au début de 1960, la rébellion en Algérie est abattue. Les chefs de l’intérieur, et notamment ceux des willayas de l’Algérois et de la Kabylie, abandonnés par leurs dirigeants de Tunis, coupés de la population depuis juin 1958, écrasés par la machine militaire, décident au printemps, après la « tournée des popotes », d’accepter la proposition du Général : la « Paix des Braves ».
L’effondrement de la rébellion.
Contacts sont pris. Les discussions, nettes et rapides, ont lieu avec des interlocuteurs de l’administration, locaux puis nationaux; les revendications sont simples : amnistie et éventuelle intégration dans l’Armée. Pour consacrer l’accord, une rencontre est prévue avec Charles de Gaulle, chef de l’Etat, dans son cabinet à l’Elysée.
Elle a lieu fin juin. Au bout d’un temps assez long, les trois envoyés ressortent surpris, quelque peu amers. Dans son propos, le chef de l’Etat s’est contenté d’énoncer des considérations générales. Ils vont encore demeurer en attente d’une suite pendant plusieurs semaines. Et rien ne vient.
Mais le FLN, informé – comment ? – réagit. Il va finir par retourner certains des conjurés, faire assassiner d’autres, dont l’initiateur des conversations, chef de la willaya 4 Si Salah.
La « Paix des braves » est morte. Avec ces hommes courageux…
Que s’est-il passé ? On ne peut qu’émettre des hypothèses. Edmond Michelet, garde des sceaux, consulté, a-t-il informé le GPRA avec lequel il avait un contact ? Le Général a-t-il cru que les entretiens de Fontainebleau avec les envoyés du GPRA de Tunis qui ont lieu à ce moment allait apporter un certain ralliement ? A-t-il utilisé ces conversations pour les manoeuvrer ?
Kennedy lors de sa visite en mai, avait-il promis – ou menacé – au sujet de la force nucléaire qui était devenue pour le Général sa préoccupation majeure ? A-t-il surdimensionné les soutiens internationaux au FLN – donc au GPRA de Tunis ? N’a-t-il pas souvent, en raison des avanies subies pendant la France Libre et du temps du RPF, surestimé la puissance de tous ceux qui souhaitaient la médiocrité pour la France ? Ou plutôt n’a-t-il pas préféré les convenances internationales au ralliement de quelques pauvres fellaghas ?
Le résultat fut terrible.
L’Armée, désespérée, va s’insurger, et brisée dans sa chair et dans son âme, aura bien besoin de la conscience qui est la sienne d’être la poutre-maîtresse de la Nation pour se relever. L’oeuvre de la France en Afrique du Nord sera quasiment réduite à néant. Plus d’un million de Français va fuir les massacres, s’arrachant à leur petite patrie, et n’auront pas même droit au titre de réfugié. Et le pire, des dizaines sinon des centaines de milliers de fidèles du peuple musulman, rejetés des deux côtés vont être exterminés dans des conditions épouvantables, discréditant pour longtemps la parole de la France.
Soixante après, les plaies suppurent toujours. Et l’ignorance, la mauvaise foi, et une certaine haine faite souvent du remords, dans les classes dirigeantes des deux côtés de la Méditerranée, les gardent douloureuses.
Mon Général, avoir renié « la paix des braves », grande idée que vous aviez souverainement proposée a été plus qu’un crime, une faute !
Illustration : voyage de De Gaulle en Algérie, Alger 5 juin 1958 © SIPA.