Civilisation
De nouveaux types de dictature qui attestent le retour de la prévalence de la Realpolitik
Le caractère révolu des dictatures fascistes et communistes.
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Il était une fois un petit garçon qui s’appelait Gratien, nom qui signifie à peu près « de bonne grâce ». Il était gentil, avec ses cheveux frisés, ses yeux pétillants de malice qui savaient se voiler de douceur. Il aimait beaucoup jouer avec un garçon un peu plus âgé que lui, que tout le monde appelait Carotte, à cause de ses cheveux d’un roux ardent, qu’il portait souvent bien ébouriffés.
Ils s’adonnaient ensemble à un jeu un peu dangereux : rien ne leur plaisait plus que de grimper aux arbres, le plus haut possible : tous leur étaient bons, pourvu qu’ils leur donnent un peu de vertige. Or, un jour, on vit Carotte sortir de chez lui de bon matin pour se diriger vers la forêt voisine, car il devait retrouver son ami Gratien dans une clairière bordée de quelques-uns de leurs arbres favoris : des charmes, des chênes et des hêtres, dont les enlacements offraient mille possibilités d’escalade et de passages d’un arbre à l’autre, jusqu’à ce qu’ils appelaient « la Soucoupe », leur repaire, abri naturel sous branches voûtées, suspendu très haut, où ils aimaient à se cacher.
Gratien, qui habitait plus loin, arriva à la clairière, appela Carotte comme d’habitude : un sifflement sur deux notes suivi de : « Carivanottivan, civanest moïvan ! ». En effet, ils s’interpelaient en « ivan », c’est-à-dire en intercalant à volonté les syllabes « ivan » dans les mots « normaux ». Mais ce matin là, il n’entendit pas la réponse habituelle « Saïvanluivan, potivan ! ». Pensant être en avance sur son compagnon, Gratien commença l’ascension vers la soucoupe, toujours un peu périlleuse, en particulier au moment de passer d’un charme encore jeune et souple à un vieux hêtre tout tordu…
Lorsqu’il parvint à la soucoupe, il distingua vers le fond une forme ramassée, un puissant animal qui le fixait de ses yeux étincelants. Quoiqu’il ne l’eût jamais vu, il reconnut aussitôt Asmodée, nom que l’on donnait à ce chat sauvage redouté à des lieues à la ronde.
– Et que viens-tu faire ici, jeune Gratien à la peau si tendre ? Demanda le chat d’une voix douce et menaçante à la fois.
– Ma foi, Seigneur Asmodée, je viens ici chez moi retrouver mon ami Carotte…
– Carotte est parti sans t’attendre, il est en pèlerinage, ricana sa majesté fourrée-moustachue.
– Et où donc, s’il vous plaît ? S’enquit Gratien en tremblant.
– Tu le sauras bientôt, si tu me donnes ton écharpe et ton blouson.
Or, c’était l’hiver et il avait gelé, mais Gratien obéit, car il voulait rejoindre Carotte. Asmodée lui dit alors :
– Pose ces vêtements, là, plus près de moi ; maintenant, as-tu froid ?
– Très froid, dit le garçon en grelottant, mais ne faites pas de mal à mon ami !
– Maintenant, attention, accroche-toi !
À ces mots, la soucoupe se mit à vibrer, à tanguer, toute striée d’une lumière bleue, semblable à celle de la lune ; en même temps, l’abri tout entier commença à se détacher de la masse des arbres, de plus en plus vite, et s’envola dans le ciel, au-delà des nuages.
C’est alors qu’il eut la surprise de voir Carotte en face de lui, à la place d’Asmodée !
– Saïvanluivan, potivan ! Nous sommes les rois ! Je t’ai bien eu, non ? Camarade, jette ta croix, la croix de ton baptême, jette-là par-dessus bord !
Gratien, au lieu d’obéir, embrassa la petite croix d’or qui ne le quittait jamais.
Aussitôt, des ténèbres épaisses enveloppèrent la soucoupe, qui tomba comme une pierre, secouée en tous sens, pendant un long moment. Puis tout s’arrêta, la soucoupe était revenue à sa place, et Gratien était seul. Redescendu dans la clairière, il vit qu’il faisait nuit, une nuit belle comme un cantique ; au dessus de sa tête, une étoile brillait plus que les autres. Du fond de son cœur, Gratien entendit une voix lui dire : « rentre chez toi, enfant, je suis avec toi ».