Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Il y avait en elle tout le XVIIIe, tout le XIXe et, peut-être, tout le XXe et même le XXIe siècle.
C’était une femme d’une intelligence hors du commun, capable de traits de bonté et de générosité remarquables. Pourtant, elle fut toute sa vie objet de scandales, de moqueries, de persécutions. Et, à lire ses biographes, force est de reconnaître qu’elle se donna beaucoup de mal pour incarner l’un des personnages les plus exaspérants de notre histoire littéraire. Deux cents ans après sa mort, le 14 juillet 1817, Germaine Necker, baronne de Staël Holstein, émeut parfois, et agace toujours.
Il fallait le talent de Ghislain de Diesbach pour oser se confronter à ce monstre sacré. Publié pour la première fois en 1983, le livre qu’il lui a consacré a été réédité et actualisé pour ce bicentenaire. C’est maintenant un classique, où l’érudition et la psychologie le disputent à l’humour. Il fallait au moins cela pour suivre, sur un demi-siècle, la vie haletante d’un écrivain qui avait tout, souvent, de l’héroïne de roman feuilleton ou de mélodrame.
Anne Louise Germaine Necker est née à Paris le 22 avril 1766. Fille de Jacques Necker, un banquier suisse qui entamera bientôt la carrière que l’on sait et ne fera, par son système, qu’aggraver les maux financiers de la France, et de Suzanne Curchod, bas-bleu helvète, fille de pasteur dotée, pour sa chance, d’une beauté qui fait pardonner l’amphigouri de ses interminables discours, la fillette, surnommée Minette et destinée à rester enfant unique tant sa mère a pris la maternité en horreur, n’aura, en réalité, qu’une passion dans sa vie : son père. Littéralement amoureuse de cet homme qu’elle tiendra, contre tout bon sens, pour le plus grand esprit que la terre ait porté, en même temps que pour le plus grand écrivain de langue française, Germaine ne sera d’abord que Mlle Necker et peut-être aurait-elle aimé le rester.
Ses parents en décident autrement et, puisqu’elle ne peut épouser son papa, elle se résigne, à vingt ans, à prendre pour époux un diplomate suédois plus séduit par son énorme dot que par ses charmes peu évidents. Éric de Staël, dont le seul mérite aux yeux des Necker est d’être protestant, ne tardera pas à comprendre l’étendue de son infortune.
Ghislain de Diesbach le souligne, Germaine, jeune mariée, accumulera les bévues avec une rare obstination. La nouvelle ambassadrice, sans grâce dans une cour où, trop souvent, la beauté éclipse mérites et vertus, non contente de se ridiculiser par ses maladresses, enflée de la gloire d’être la fille de Necker, ne tarde pas à vouloir s’emparer d’un rôle politique qu’elle n’est pas censée tenir et qu’elle est d’ailleurs trop jeune et inexpérimentée pour jouer sans fausse note.
Les événements révolutionnaires, auxquels elle adhère de grand cœur tant son protestantisme genevois l’incline vers le régime républicain, lui donnent enfin prétexte à se mettre, croit-elle, en valeur, et, surtout, à mettre en avant son amant, M. de Narbonne, qui mérite selon elle au moins un ministère. Elle le lui décrochera à l’usure.
Bien qu’elle ait tenté, avec autant de cœur que de maladresse, de favoriser la fuite de la famille royale en août 1792, Mme de Staël est désormais mal vue des milieux royalistes, tout comme des révolutionnaires car, avec un désespérant manque de sens politique, elle optera pour un modérantisme propre à dresser contre elle toutes les factions …
L’étonnant de l’histoire est que cette femme qui révélera bientôt du génie, si elle tirera un jour les leçons de l’époque dans ces intéressantes Considérations sur la Révolution française, ouvrage où l’autobiographie tient une grande place, n’en tirera aucune de ses propres erreurs et ne modifiera jamais sa conduite. Ce besoin de se mêler de tout, mais d’abord de ce qui ne la regarde pas, ne tardera pas à la faire regarder comme une redoutable fauteuse de troubles, et ce n’est pas faux.
Besoin de s’imposer sur la scène ? Sans doute, mais surtout besoin, vital selon elle, de vivre à Paris, ce qu’elle ne saurait concevoir sans une foule d’adulateurs groupés autour d’elle, choisis de préférence parmi les esprits les plus contestataires et les plus hostiles aux pouvoirs successifs, de sorte qu’elle se mue, sans s’en rendre compte, en égérie de l’opposition. Cela, Bonaparte ne le tolérera pas.
L’on a tout dit de la misogynie et de la muflerie du Corse, très inquiet des assiduités de Germaine, capable, un matin, d’entrer dans la salle de bains où le grand homme est nu en déclarant, imperturbable : « le génie n’a pas de sexe. » Il est vrai que Napoléon veut que les femmes restent à leur place, c’est-à-dire à ce qu’elles fassent des enfants mais ne se mêlent pas de penser.
Des enfants, Mme de Staël en fera cinq ; ses ennemis diront qu’elle-même ne savait pas très bien avec qui. L’on ne peut nier, certes, qu’elle ait collectionné frénétiquement les amants, Benjamin Constant étant le plus célèbre, mais pas le seul, tant s’en faut ; ces Messieurs rajeuniront d’ailleurs au fur et à mesure qu’elle prendra de l’âge. À chaque fois, elle s’imaginera avoir trouvé l’Amour, avec une majuscule, étouffera les malheureux successifs sous les flots d’encre d’une passion bavarde et outrancière, exigeant d’eux qu’ils lui vouent leur vie et menaçant de se suicider s’ils ne lui cèdent pas … L’opiomanie de la dame, censée soigner ses insomnies et peines de cœur, n’arrangera certes rien et cela explique en bonne partie les scènes insensées que cette toxicomane savait faire.
Cela ne l’empêche pas d’avoir du talent, parfois même du génie. La réédition, en collection Bouquins de ses essais, donne, là encore, une idée assez juste du balancement perpétuel entre lucidité pénétrante, remarquable même, voire prophétique, et désespérante incapacité à laisser son intelligence, pourtant si pénétrante, dominer ses excès et passions, causes trop évidentes de ses échecs et ses perpétuelles déconvenues.
Napoléon, qui la détestait, lui rendit pourtant sans le comprendre le plus grand des hommages en la tenant pour une adversaire dangereuse. Pourquoi, sinon, s’acharner sur elle et lui interdire Paris d’abord, la France ensuite, avant de l’astreindre à résidence surveillée dans sa propriété de Coppet devenue pour elle une geôle intolérable ? Mme de Staël, à Paris, aurait-elle vraiment représentée un danger pour l’empereur ? Le seul fait qu’il l’ait cru revenait à lui conférer l’importance et l’influence que, justement, il prétendait dénier à toutes les femmes …
C’est dans cet affrontement, en apparence disproportionné, entre un écrivain, pour doué qu’il soit, et le maître du monde, que Germaine se révèle grande. Au vrai, elle n’a peut-être pas bien conscience de ce qu’elle fait, ni des risques qu’elle court mais, dans une société où nul ou presque n’ose plus s’exprimer, elle donne, souvent avec une plume mordante, puissante, remarquable, un discours libre et refuse de s’assujettir à qui que ce soit. Il n’est pas nécessaire de partager ses vues, tant s’en faut, pour apprécier ce refus de se soumettre au pouvoir de la force et de prostituer sa plume afin de plaire à l’empereur.
Le plus triste est de constater combien, peu à peu, ses amis, y compris ceux qui lui devaient beaucoup car elle ne manqua jamais une occasion d’aider ou secourir, prirent leurs distances quand ils mesurèrent la disgrâce où, à compter de 1810, elle était tombée.
Sa célébrité n’arrangeait rien. Un bel album, Germaine de Staël et Benjamin Constant, l‘esprit de liberté, catalogue d’une exposition qui se tint l’an passé à Coppet permet, entre autres, de mesurer la gloire qui fut la sienne. Amère sans doute : on célébrait la romancière plus que l’essayiste, l’auteur de Delphine et Corinne, non celui de De l’Allemagne qui avait tant déplu au Maître, et l’on venait la voir comme un phénomène de foire, ce qu’il lui arrivait d’être.
« Pour une femme, la gloire n’est trop souvent que le deuil éclatant du bonheur », faisait-elle dire à Corinne mourante. Sans doute en était-elle persuadée mais qu’eût-elle fait du bonheur sans la gloire ?