Peut-on être souverainiste sans poser la question du souverain ? Plus précisément, le combat souverainiste doit-il se borner au seul dessein politique de recouvrer les instruments régaliens de la souveraineté de la France, sans considération pour le peuple souverain ?
En juillet 2023, à l’occasion d’un long entretien avec le média Livre Noir, Daniel Conversano, nationaliste identitaire à consonance ethno-racialiste, comme il se définit lui-même, accusait le camp souverainiste de tourner le dos à tout questionnement relatif au substrat du peuple français. Ce faisant, il brocardait tout particulièrement le souverainiste François Asselineau qui enferme, selon lui, sa défense purement instrumentale de la souveraineté française dans un rejet sans concession de l’Union européenne et de ses traités constitutifs, tout en se montrant favorable à une immigration extra-européenne qui serait indexée, notamment, sur la francophonie. Conversano affirme ainsi que « les souverainistes ne pensent pas que la grandeur de la France est liée à l’européanité ethnique de ses habitants historiques ».
Dans un court essai aussi dense qu’énergique, Rodolphe Cart bat vigoureusement en brèche cette approche que nous qualifierons, personnellement, de foncièrement sommaire (Conversano étant lui-même très peu rigoureux dans l’emploi des termes « ethnie » et « race » qu’il emploie indifféremment, au prix d’un confusionnisme regrettable). Tout d’abord, le souverainisme ne se résume pas aux positions iconoclastes et – ceci expliquant probablement cela – et extrêmement minoritaires de François Asselineau qui n’engage, par ses propos, que sa groupusculaire Union Populaire Républicaine. Tout à son objectif de « poser les bases d’un dialogue serein entre souverainistes et identitaires », Cart, avec un style enlevé et incisif, se lance, sabre au clair, dans une entreprise de salubrité publique en remettant les identitaires à leur place et le souverainisme à l’endroit. Tranquillement, mais fermement, il rappelle que « l’immigration extra européenne, que l’on connaît depuis les années 1960, constitue une rupture de près de quatre millénaires de stabilité du peuplement français. Le Français de souche existe bel et bien, et l’immigration extra européenne actuelle trouble un peuplement fixe depuis des siècles. » Notre essayiste, s’il reconnaît la dimension ethnoraciale et surtout ethnoreligieuse, du combat souverainiste, ambitionne impérativement de la doubler d’une dimension sociale qu’il estime inséparable de ce dernier. Convoquant des classiques, de Marx à Lasch en passant par Sombart et Péguy ou des auteurs plus récents comme Christophe Guilluy, Emmanuel Todd ou Pierre Vermeren, il explique de manière fort convaincante que la principale source du mal français provient des élites dirigeantes françaises et de leur esprit foncièrement bourgeois enté sur une logique axiale d’accumulation infinie et de maximisation de ses intérêts ; le peuple de souche se voit ainsi ravalé à une vulgaire fonction de variable d’ajustement, susceptible, en dernière instance et pour les besoins de la cause financiaro-cosmopolite, d’être immolé, noyé dans les eaux glacées du calcul égoïste d’une bourgeoisie sans scrupule.
Le lien indissociable unissant l’incommensurable amour pour la terre de ses pères au sang versé pour la défendre
Il n’est pas exagéré de dire que Rodolphe Cart livre, ici, une étude, sans nul doute parmi les plus intelligentes et structurées jamais publiées depuis longtemps. Nous avions nous-même, naguère, dans La Souveraineté dans la nation (L’Æncre, 2013), prêché pour une redéfinition du nationalisme. Toutefois, à rebours de Cart, nous proposions de congédier le concept de souverainisme que nous jugions à la fois périphrastique et euphémistique – comme si les souverainistes craignaient de continuer de défendre haut, fort et fiers, la seule réalité charnelle et politique d’autant moins capable de mentir au peuple qu’elle lui est consubstantielle – pour une réhabilitation sans faux-semblant du concept de nationalisme que, jadis, nos maîtres Barrès et Maurras surent polir pour lui conférer son plus bel éclat. Par surcroît, en ces temps troubles de réapparition du phénomène guerre au cœur du vieux continent, Cart, dans le sillage de Barrès, Renan et même Zola – et dans une optique toute heideggerienne de l’être-là de la nation « terre-et-peuple » – est légitimement fondé à rappeler le lien indissociable unissant l’incommensurable amour pour la terre de ses pères au sang versé pour la défendre, ce, « pour continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis » disait Renan dans sa célèbre conférence de 1882. La vision racialiste est d’autant plus imprégnée des thèses du nationalisme allemand du sol et de la terre (Blut und Boden) qu’elle est une reconstruction de la germanité adossée à des grands récits fondateurs supposément fondateurs, tirés pour l’essentiel d’un Moyen Age mythifié. C’est toute la différence d’avec le nationaliste français issu d’une maturation lente et progressive de la conscience politique et historique de lui-même. En France, de tout temps, parce que « le peuple français est un composé (…) mieux qu’une race (…) une nation », écrivait le grand Jacques Bainville, la race française est littérairement et historiquement, donc, prioritairement, une âme.
Rodolphe Cart, Feu sur la droite nationale ! Réponse à Daniel Conversano et aux identitaires, La Nouvelle Librairie, 2023, 93 p.