En des époques où le festivisme n’était pas obligatoire et où se donner en spectacle ne signifiait pas assister à des performances artistiques douteuses mais payer de sa personne, en tournoyant, en dansant, en défilant, les fêtes royales étaient l’occasion de montrer la puissance du souverain, nimbée de la joie du divertissement.
Dans le Fontainebleau des Valois (donc des Médicis), où Henri II fait construire une salle de bal, les fêtes ont certes une dimension politique mais aussi cette fantaisie, cette folie, cette rage si typique de la Renaissance. Les plus grands artistes, comme le Primatice, imaginent des architectures fantastiques et éphémères, recréent des forêts et des montagnes en bois et carton, entassent des obélisques à trois faces sur des rhinocéros et dessinent un costume de « fontaine d’eau parfumée » pour Henri II qui fait passer le costume de crevette de François Ier pour un déguisement de série (un dessin de Costume de guerrier, habile croisement entre un poulpe et un hippocampe, en donne une faible idée). Pendant ce temps, Ronsard et Du Bellay écrivent les livrets des spectacles.
Qu’on me permette ici une longue parenthèse. Les organisateurs ont eu l’idée de demander aux équipes de Disneyland Paris de les aider à recréer deux costumes conçus par le Primatice, ceux d’Alexandre le Grand et Thalestris, reine des Amazones. À grands renforts de galon d’or et de cuir gaufré et moulé, les dessins prennent vie et si les esquisses du Primatice perdent en élégance, on mesure mieux la réalité de ces mascarades. Surtout, ceux qui sont allés à Disneyland n’ont pu manquer d’être surpris par la manière dont de vrais bâtiments imitent les architectures simplifiées des dessins animés, comme La Belle au bois dormant (1959) : jusqu’aux arbres qui sont taillés pour ressembler à leurs modèles imaginaires. Troublante mise en abyme où le réel final se conforme à un modèle factice lui-même conçu à partir d’un modèle réel ; mutatis mutandis, c’est la même opération à laquelle se livre Benozzo Gozzoli quand il peint à Florence la procession de la confrérie des Mages à laquelle appartenaient les Médicis : le décor de montagne paraît moins réaliste que les animaux et les personnages précisément parce que le peintre représente avec exactitude un décor factice et éphémère. C’est ainsi que les tentures qui représentent Le Carnaval de 1564 ou La Baleine traduisent en fils des décors réels, reproduisant le plus fidèlement possible les fausses mers, les fausses îles et le faux cétacé, versions aménagées pour les besoins du spectacle de très concrètes réalités.
Les expositions qui rappellent les jours enfuis
Ces spectacles n’étaient pas moins réels quand bien même il s’agissait de l’assaut d’une baleine mécanique sur la rivière Adour, du côté de Bayonne. Une salle octogonale accueillait l’assistance, on y accédait par une allée, « laquelle allée était glasonnée, fossoyée et plätée artificiellemët d’arbres d’un costé et d’autre, là où les naturelz defailloyent avec plusieurs buissons aussi faits artificiellement ». « Les Majestés, accompagnées de Princes, Princesses, Seigneurs et Dames de leurs Cours » montèrent sur un bateau en forme de château et assistèrent à la prise d’une baleine artificielle (qui ressemble à une grande morue) avant de se diriger vers un canal où les accueillit une tortue gigantesque sur le dos de laquelle six tritons habillés de drap d’argent sur champ vert jouaient admirablement du cornet. Après, on festoya et une pluie inattendue ajouta le charme de son sortilège contraire aux plaisirs de la fête.
Les trois tentures commémoratives partirent en toscane quand Christine de Lorraine, petite-fille de Catherine de Médicis, partit épouser le grand-duc Ferdinand Ier de Médicis : les Offices ont permis qu’elles reviennent brièvement : l’exposition ne compte “que” cent pièces mais elles arrivent de partout, intelligemment choisies pour évoquer ce qui n’existe plus et dont on n’a parfois même pas trace : la Réception du duc d’Anjou à San Nicolo di Lido à Venise par le doge Moncenigo permet d’imaginer les entrées royales du souverain fraîchement sacré, comme l’entrée d’Henri II à Paris en 1549, parcours triomphal jalonné de stations qui sont autant d’étapes initiatiques par lesquelles le souverain prend possession de la ville mais aussi de son rôle et dont il ne reste qu’un livret aux gravures un peu sèches.
Cinq cents ans plus tard, d’autres cérémonies, d’autres fêtes, d’autres pouvoirs mais le même éphémère : tout se démonte et s’oublie ; seuls demeurent les vieux châteaux aux âmes ravivées par les expositions qui rappellent les jours enfuis.
L’art de la fête à la cour des Valois. Château de Fontainebleau, jusqu’au 4 juillet 2022.
Anonyme, Bal à la cour des Valois, Huile sur bois, Musée du Louvre © RMN-Grand Palais/ Thierry Le Mage