Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Réfugiés derrière de brumeux « standards de la communauté », les modérateurs de Facebook censurent les membres dont ils ne partagent pas les opinions et refusent d’en débattre. Un avocat les attaque.
Un entretien avec Éric Cusas
Éric Cusas. Si j’ai décidé d’attaquer Facebook en mon nom personnel, dans une lutte qui peut faire penser à celle de David contre Goliath, c’est d’abord en raison du caractère arbitraire de la désactivation de mon compte, la plateforme s’étant (comme dans tous les cas d’ailleurs) retranchée derrière d’obscurs motifs de confidentialité qui lui interdiraient, prétendument, de dévoiler la cause de la sanction. Ainsi ne saurez-vous jamais si la mesure a été prise à l’initiative de Facebook, ou sur la base de dénonciations émanant d’autres utilisateurs qui, peut-être, désapprouvent simplement vos opinions, fussent-elles exprimées avec mesure, ou encore à la demande d’une autorité gouvernementale dont vous critiquez énergiquement la politique. En fait, vous ne saurez absolument rien. C’est un peu comme si un tribunal correctionnel vous disait “je vous condamne pour avoir transgressé une loi, mais je ne vous préciserai pas quelle loi, quand vous l’avez violée et quels étaient les faits condamnables”. En tant qu’avocat et spécialiste du contentieux, que je pratique depuis plus de trente ans, cela me choque au plus haut point. Cela m’évoque les grandes heures du stalinisme.
Je ne suis évidemment pas le seul à me trouver dans ce cas. Même s’il m’est impossible d’évaluer l’ampleur du phénomène, j’ai connaissance de beaucoup d’utilisateurs ayant fait l’objet de cette sanction. Je représente d’ailleurs un journaliste dont la page professionnelle a été désactivée sans avertissement ni justification.
De manière générale, il semble que les “victimes” soient toujours des utilisateurs qui combattent, non le progrès, mais les idées progressistes, fut-ce en développant un argumentaire charpenté et en respectant la bienséance qui doit prévaloir dans le débat public. Il n’est pas anodin que le journaliste que je défends travaille pour le magazine L’Incorrect. Ce n’est pas un hasard.
Cette politique est hélas universelle. Facebook a d’ailleurs été condamné à deux reprises par des juridictions italiennes pour des suppressions de pages considérées comme attentatoire à la liberté d’expression. Et comme par hasard, il s’agissait à chaque fois d’individus ou d’associations promouvant l’idée nationale. Dans la plus récente de ces décisions, le tribunal a observé que la page supprimée ne contenait aucun propos appelant à la haine, à la violence ou au terrorisme et a considéré que la liberté d’expression, garantie par la constitution italienne, prévalait sur les règles contractuelles d’une entreprise privée.
Personnellement, je n’en vois pas. Dans un cas comme dans l’autre, c’est la libre parole qui est muselée.
Entendons-nous bien : je ne défends en aucun cas ceux qui auraient tenus des propos violents, haineux, grossiers, xénophobes, racistes, homophobes, etc. Mais si les idées sont exprimées avec mesure, il n’y a pas de sujet qui devrait échapper au débat en dehors de ce que la loi prescrit (comme par exemple le négationnisme). À défaut, les plateformes deviennent des outils de formatage des esprits.
Jamais, du moins à ma connaissance. Et comme je l’ai dit, si vous vous avisez de demander une explication, on vous la refuse.
J’ai le sentiment que Facebook s’attache à promouvoir une certaine vision du monde et toutes les opinions qui ne s’y conforment pas sont scrutées et supprimées. Au bout du compte, les plus jeunes utilisateurs, dont l’esprit critique est parfois moins aiguisé, finiront par épouser cette vision imposée sans se poser de questions.
Par exemple, Facebook supprime systématiquement tous les contenus traitant de Génération identitaire (organisation pour laquelle je n’ai pas de sympathie particulière), même s’ils sont factuels et purement informatifs. Valeurs actuelles en a récemment fait les frais. Les journalistes doivent pourtant pouvoir faire leur métier et rendre compte de l’actualité !
C’est un véritable parcours du combattant de les trouver mais ils sont accessibles sur le net. Il reste que, comme l’a relevé le tribunal de grande instance de Paris dans un jugement du 9 avril 2019, très sévère pour Facebook, ces standards sont à ce point vagues qu’ils ne permettent pas à l’utilisateur de savoir à l’avance s’il va les enfreindre ou non. À moins, bien entendu, de ne publier que des photos de chatons…
Ces standards de la communauté sont évidemment une fiction ! Le réseau compte des centaines de millions d’utilisateurs qui ne peuvent être d’accord sur tout. Une fois encore, ce que Facebook promeut hypocritement en se cachant derrière le faux nez des standards de la communauté, ce n’est rien d’autre que sa vision du monde qui doit advenir.
Il semble clair que la neutralité de Facebook est une vue de l’esprit. Ou plutôt, il s’agit d’une neutralité à géométrie variable, bienveillante avec ce qui correspond à la vision du monde de l’entreprise (même lorsque les propos tenus ne sont pas mesurés) et dure pour tout ce qui la contredit.
Facebook ne reconnait absolument rien ! Le censeur s’abrite derrière le masque du Bisounours et le visage impassible d’un multimilliardaire aux allures de post-adolescent.
Oui, une fois encore, l’entreprise s’arroge le droit de décider ce qu’il est permis de penser ou non, de partager ou non.
Le cas de Génération identitaire, déjà évoqué, est emblématique. Facebook a décidé il y a quelques mois de supprimer tout contenu traitant, même factuellement, de cette organisation. Que je sache, les utilisateurs inscrits sur le réseau depuis parfois plusieurs années n’ont jamais consenti à cette limitation. Facebook modifie ainsi unilatéralement les conditions du contrat, conscient de sa puissance et de l’inertie de la plupart des utilisateurs.
C’est une question complexe, les CGU de Facebook autorisant l’entreprise à utiliser les contenus partagés. Mais les droits de propriété intellectuelles sur les contenus originaux ne disparaissent pas pour autant. Pourtant, en cas de désactivation de votre page, Facebook vous refusera même le droit de récupérer vos contenus originaux.
Pire encore, la suppression de votre page s’accompagnera de celle de votre messagerie ce qui, selon moi, constitue un détournement de correspondances puni par le Code pénal.
Évidemment non ! Si tout le monde peut s’accorder sur la légitimité de la lutte contre la cyber-haine, la violence ou le terrorisme, il est aberrant de déléguer à un opérateur privé le soin de décider a priori, sous peine de lourdes amendes, quels sont les comportements susceptibles de tomber sous le coup de la loi pénale ! C’est une véritable ubérisation de la justice !
Bien entendu, les tribunaux peuvent toujours être saisis a posteriori mais, honnêtement, combien d’utilisateurs vont s’adresser à eux ? Une fois encore, on compte sur la passivité ou le fatalisme des utilisateurs, le coût de la justice et le déséquilibre du rapport de forces.
En Belgique, l’assignation est entre les mains de l’huissier et devrait être signifiée d’un moment à l’autre.
En France, j’ai mis Facebook en demeure de rétablir la page du journaliste, ce qu’il ne fera pas. L’assignation sera délivrée dans les semaines qui viennent, compte tenu du délai de distance, car nous devons assigner Facebook Irlande qui est le partenaire contractuel de tous les utilisateurs domiciliés sur le territoire de l’Union européenne.
Propos recueillis par Philippe Mesnard