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Expo. Le roman national de Louis-Philippe

Le roi a conçu Versailles comme un lieu d’unification et même de réconciliation nationale. Son dessein est à nouveau perceptible : le projet force l’admiration ; la vigueur imaginative du XIXe frappe l’esprit. Une restauration passionnée, intelligente et minutieuse nous restitue le lieu qu’il avait voulu offrir aux Français.

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Expo. Le roman national de Louis-Philippe

On peut désormais l’avouer, visiter Versailles était devenu d’un ennui ! La galerie des Glaces et les appartements envahis de touristes transformaient les splendeurs royales en wagon de RER. On pouvait depuis peu fuir jusqu’au hameau de la Reine, magnifiquement restauré, lointaine consolation. Avec cette exposition sur « Louis-Philippe et Versailles », on est littéralement transporté ailleurs : plusieurs milliers de mètres carrés jamais ou rarement accessibles sont ouverts, illuminés, restaurés (avec une ébouriffante et napoléonienne salle du Sacre qui s’encrassait depuis 1835). On les parcourt comme devaient les parcourir les visiteurs à qui Louis-Philippe avait fait le don de leur propre histoire, de Tolbiac et Pharamond jusqu’aux colonies d’Afrique en passant par les croisades, 1792 – où Philippe-Égalité devint député de Paris et où Louis-Philippe, à 19 ans, se battit à Jemmapes – et Napoléon : « toutes les gloires de la France ». On mesure, en cheminant devant ces tableaux qui sont autant d’affirmations nationales, à quel point Louis-Philippe fut le roi qui tint tant à la paix intérieure autant qu’extérieure.

En 1837, le roi inaugure le musée qu’il avait voulu, ayant radicalement transformé l’ancien palais royal, installant son programme iconographique là où dormaient les courtisans. Les dessins préparatoires de ce gigantesque chantier en témoignent tous, qui portent la mention « Travaux ordonnés par le Roi pour la conversion du Palais de Versailles en salles, galeries et Musée Historiques. » Car si l’exposition permet d’admirer ce que le roi a pensé et fait exécuter, elle raconte aussi sa vie, de son éducation par Stéphanie de Genlis (merveilleux modèle réduit d’un atelier de menuiserie) à son dernier exil anglais, en passant par sa collection de peintures. Cette approche biographique permet de comprendre la manière dont le monarque a décidé de “son” Versailles, palais, parc et Trianon. De 1833 à 1848, il ira chaque année à Versailles des dizaines de fois. Il y accumule tout ce que lui commandent sa culture, son goût, sa fantaisie et sa volonté d’encourager les arts et les industries. Le Versailles de Louis-Philippe est un rêve XIXe, éclectique, coloré, chargé, médiéval et métallique – les verrières zénithales –, pratique et luxueux, comme en témoigne entre cent autres objets la splendide Coupe de la famille royale.

Les Français marchent dans le château et y admirent, des Gaulois à leur quotidien, comment les rois distillèrent la France et comment le dernier d’entre eux a intégré à cette geste quintessenciée les épisodes les plus récents, dont l’Empire napoléonien. Les murs se couvraient de peintures au fur et à mesure que l’Afrique était conquise et Anvers assiégée ; l’actualité se transmutait immédiatement en histoire commune et continue par la grâce du sens politique du roi et des pinceaux d’Horace Vernet. Napoléon III se lancera dans des salles dédiées à la guerre de Crimée, inabouties, comme les salles d’Afrique de Louis-Philippe, qui désormais servent aux expositions temporaires, les tentures masquant les gloires des années 1830 – aujourd’hui découvertes.

La prise de la smala d’Abd-El-Kader par le duc d’Aumale (Vernet, 1843) déploie ses 21 mètres comme un panorama guerrier et ethnologique. Dans la galerie des Batailles, Austerlitz répond à Bouvines : la composition des deux tableaux, peints par Gérard en 1805 (commande napoléonienne) et Vernet en 1827 (commande de Charles X), présente à chaque fois deux groupes, l’un d’ennemis vaincus amenés à l’Empereur, l’autre de chevaliers français s’inclinant devant Philippe Auguste : « Seigneurs français, et vous tous valeureux soldats, qui êtes prêts d’exposer votre vie pour la défense de cette couronne, si vous jugez qu’il y a quelqu’un parmi vous qui soit plus digne que moi, je la lui cède et la résigne volontiers, pourvu que vous vous disposiez à la conserver entière, et à ne pas la laisser démembrer par ces excommuniés. » Souveraineté et unité. Pour ce roi qui n’aimait pas les romans, le roman national français suffisait à enflammer l’imagination.

Un tableau de 1848, de Vinchon, montre Louis-Philippe et la famille royale visitant les Galeries Historiques de Versailles. Émergeant de la pénombre, le petit groupe contemple la statue de Jeanne d’Arc, en pleine lumière, qui les considère du haut de son piédestal. Dans la galerie des Batailles, longue comme un stade de football, où le roi installa en trente-trois tableaux les moments décisifs où la France fixa ses frontières et préserva son indépendance, Jeanne d’Arc entrant à Orléans (Ary Scheffer, 1843) était au centre : « Sa présence, à la meilleure place, rappelle le soutien que le souverain peut espérer de son peuple dans les moments les plus sombres du pays ». Le 24 février 1848, Louis-Philippe abdiquait et se retirait en Angleterre : curieuse et amère conclusion de ce face-à-face. On voit l’acte d’abdication. « J’abdique cette couronne que la voix nationale m’avait appelé à porter, en faveur de mon petit-fils le Comte de Paris. Puisse-t-il réussir dans la grande tâche qui lui échoit aujourd’hui. »

Tout son Versailles n’avait été que la volonté de donner un corps et un visage à cette voix nationale. Le corps du pays forgé par ses batailles, le visage de tous ses serviteurs, rois ou capitaines. Il laisse derrière lui une œuvre inachevée, des salles que les Français ne parcourront plus pendant longtemps. Un tableau de Biard (1841) présente Le duc d’Orléans descendant le grand rapide de l’EIjampaïaka sur le fleuve Muonio en Laponie en août 1795¹. Le futur Louis-Philippe, vêtu en explorateur moderne, contemple impassible le fleuve bouillonnant. Le grand rapide de l’EIjampaïaka finit par l’emmener à Claremont, dans le Surrey. Ce roi qu’on veut bourgeois connut plus d’aventures, d’exils et de vicissitudes que nombre de dissidents aujourd’hui célébrés. Son Versailles demeure pour quelques mois presque restitué dans l’éclat de sa renaissance.

Par Richard de Sèze

 

Louis-Philippe et Versailles. Château de Versailles, jusqu’au 3 février 2019

 

  1. www.histoire-image.org/fr/etudes/duc-orleans-laponie

Coupe de la famille royale, 1836-1837. Manufacture de Sèvres.

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