Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Chaque réforme ne vise qu’à normaliser le Français, comme on standardise la production du bétail, à l’encontre de la justice et de la liberté. Ce sont elles qui constituent la nature française. Elles ne se laisseront pas faire.
Suave mari magno…. Qu’il est doux devant la grande mer de voir les marins s’époumoner… alors que nous sommes sur le rivage, à pied sec… la grande mer, c’est la houle de la réforme des retraites et la protestation des nantis et des privilégiés de tous les systèmes spéciaux. Qu’avons-nous à y voir ? Rien.
Nous, les avocats nous sommes contre cette réforme, mais pas pour les mêmes raisons que ceux qui sont en grève et dans la rue. Nous sommes pour la liberté du travail et de la circulation. Nous ne sommes ni d’un camp, ni de l’autre. Mais notre douceur s’arrête là.
Car cette réforme est profondément pernicieuse par sa volonté d’uniformisation. Que restera-t-il aux avocats, pour dire leur indépendance, quand ils ne seront plus maîtres de la gestion de leurs cotisations et de leur retraite ? La seule logique sera leur regroupement dans un seul Ordre qui deviendra une sorte d’instance administrative déléguée sous le contrôle du ministre de la Justice (je ne dis plus Garde des sceaux, car il faudrait écrire « la Garde des sceaux » ; ce qui est une inconvenance, d’ailleurs, que peut bien faire la justice numérique d’un Garde des sceaux ?)
Par souci de justice, on nous affiliera à la Sécurité sociale, avec faculté de remboursement d’une partie des honoraires pour les avocats conventionnés, prise en charge totale pour l’aide juridictionnelle et taxation maximale pour les avocats hors contrat réservés aux riches.
Déjà, les formes nouvelles d’exercice de la justice, l’architecture des palais, qu’il ne faut plus appeler ainsi mais qu’on dira « maisons judiciaires », travaillent chaque jour à amoindrir l’insupportable originalité de l’être de l’avocat. Nous contemplons les « grands anciens » : Garçon, Tixier, Isorni, Floriot, avec une nostalgie mêlée de désespoir… aujourd’hui, ce n’est plus possible.
Cette liberté, ce ton, ce mordant, cette intelligence… cette culture, cette façon d’être… En soi, le régime des retraites, cela peut paraître mineur. En réalité, c’est une étape de plus et, l’une après l’autre, la machine à broyer l’humain arrivera à ses fins.
Seulement voilà ! Comme chantait Mouloudji. « Quand j’t’aurai dit, tu comprendras, » ce n’est plus le petit coquelicot, Mesdames, c’est l’irrépressible nature humaine, où couvent toujours le besoin de justice et la passion de la liberté. Travailler à les éroder, à les modeler, à les étouffer ou à les réduire… vient un temps où ils brûlent encore plus fort dans le cœur de cette race française décidément irréductible.
Quand je dis « race », je ne parle pas de la race biologique – race principe – comme les racistes qui pullulent aujourd’hui dans toutes les couleurs. Je parle d’une race résultant d’une transmission non seulement personnelle, mais familiale, voire professionnelle, d’un style qu’on reconnaît non seulement dans l’écrit ou la parole, mais dans « une certaine manière d’être avocat » comme disait Jean-Marc Varaut.
Cela, bien sûr, dépasse la profession d’avocat. On retrouve le même caractère chez le paysan, le soldat, l’artisan, le commerçant, l’entrepreneur, l’architecte et le médecin. Il y a une limite à l’insupportable normalisation, c’est tout simplement l’être français. Soyons de vrais Français (comme disait Jeanne) de la tête aux pieds, de cœur et d’âme, de corps et d’esprit. C’est en définitive notre ultime raison d‘être.
Illustration : “Entrez hardiment, tout est vôtre !” (assaut des Tourelles devant Orléans)