Comment un petit instrument de signal à l’ambitus rudimentaire de deux notes est-il devenu un symbole postal international et a-t-il inspiré moult compositeurs ?
Se souvient-on que les bouchers furent les premiers facteurs ? Acheminant les dépêches en même temps que leur bétail, ils avertissaient les destinataires en sonnant de la corne. Ils entrèrent en concurrence avec la dynastie princière des Thurn und Taxis, qui mit sur pied – du XIIIe au XIXe siècle – un vaste réseau postal reliant les villes du Saint Empire romain germanique et la plupart des pays européens. Diverses ordonnances impériales consacrèrent leur suprématie.
Au XVIe siècle, tous les messagers des Thurn und Taxis signalaient leur venue au moyen d’un cor spécifique, privilège confirmé par l’empereur. Les sonneries qui retentirent sur toutes les routes de l’Occident étaient rythmiquement variées, annonçant une exemption des taxes douanières, le droit de doubler les équipages en les obligeant à se ranger, de traverser les villages au galop ou de se faire ouvrir nuitamment les portes d’une cité. Le petit instrument à vocation signalétique ne permet pourtant de jouer que deux notes perçantes : l’octave si bémol – si bémol. Malgré – ou à cause de – cette limitation, il marqua durablement l’ordinaire des peuples. De nos jours, nombre de Postes nationales arborent encore le cor de postillon comme emblème : on le retrouve aussi sur les timbres et sur les boites aux lettres.
Exception française
Au royaume de France, l’établissement du maillage postal s’élabora différemment. Son origine remonte aux relais que Louis XI installa sur les routes de Bourgogne pour être informé des agissements de Charles le Téméraire. Il ne se développa vraiment qu’au XVIIe siècle. Le service des haltes et des voitures s’érigea en monopole d’État, facilitant entre autres le contrôle du territoire par le gouvernement.
Différent de son cousin germanique, le cor de postillon français accompagna notre épopée postale, celle des relations épistolaires et des tournées en malle. Ainsi l’abbé de Brantôme mentionne-t-il un « huchet » annonçant son approche et prévenant le maître de poste d’« accoustrer les chevaux », tandis que Furetière évoque un cornet qui « donne avis de son arrivée » . Son apprentissage et sa maîtrise étaient d’ailleurs obligatoires pour tous les postiers jusqu’au XVIIIe siècle.
Personnage pittoresque célébré dans des poèmes, pamphlets et récits de voyage, on aime à représenter le fringant postillon en bon vivant, séducteur et colporteur d’histoires extraordinaires. Le succès phénoménal du Postillon de Longjumeau, opéra-comique d’Adolphe Adam, ne s’est jamais démenti depuis sa création en 1836, tant en France (Opéra Comique, 2019) qu’en Allemagne (Staatsoper Berlin, 1998).
Aux siècles des missives et des voyages à cheval
Violoniste parisienne spécialisée dans le répertoire ancien, Alice Julien-Laferrière a été formée au Conservatoire de Montreuil puis au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon. Son mémoire de master en 2012 porta sur l’imitation des bruits du quotidien dans la musique baroque. Elle s’est attachée à comprendre comment les postillons utilisaient leur instrument aux XVIIe et XVIIIe siècles et comment le motif octavié caractéristique des postiers allemands stimula l’imaginaire de nombre de musiciens qui l’intégrèrent en leurs œuvres. Ils le sauvèrent en quelque sorte de l’oubli, car aucun traité n’a répertorié les sonneries postales, comme ce fut le cas pour la céleustique. Avec son ensemble Artifices, Alice Julien-Laferrière a donc exploré les archives en quête de pépites et a publié un disque surprenant, où la force suggestive du thème relie et unifie les morceaux au programme.
Certaines pièces se révèlent assez anecdotiques : Le Courier de Michel Corette, le Capriccio, fugue de jeunesse de Johann Sebastian Bach, à propos du départ de son frère aîné en Suède en 1704, ou la Diligence de Louis de Caix d’Hervelois (ici adaptée pour le violon). Se distinguent heureusement des œuvres plus ambitieuses comme Les Postillons, tirés de l’Ouverture-Suite de Georg Philipp Telemann ou le prologue de la Kayserliche Friedens-Post (La Poste impériale de la paix) de Reinhardt Keiser. Antonio Vivaldi cite la sonnerie dans son Concerto pour violon ò sia il Corneto da Posta, diablement inventif. La Première sonate de Francesco Maria Veracini contient une virtuose Giga Postiglione. La cantate Der Raritäten Mann (Le Montreur de curiosités) de Johann Samuel Endler, belle découverte, est interprétée avec toute la pétulance nécessaire par le baryton Romain Bockler. Enfin, mentionnons le brillant Concerto de Johann Beer réunissant cor de chasse et cor de postillon, improbable couplage, qui érige son auteur en précurseur (le cor ne deviendra instrument de concert que bien plus tard). Il n’est disponible qu’en vidéo sur le site internet du label.
L’exploit d’une reconstitution
Nonobstant l’usage intensif qu’on en fit au cours des siècles, peu d’instruments sont parvenus jusqu’à nous. Le facteur Patrick Fraize, en étroite collaboration avec le trompettiste et corniste Jean-François Madeuf, a reconstitué pour l’occasion un Posthorn germanique en s’inspirant notamment de celui de la Wallace Collection à Londres.
La magnifique complicité de l’ensemble Artifices avec les illustrateurs et le graphiste Frédéric Moret nous livre une très esthétique boîte aux trésors – intelligemment pédagogique – renfermant CD, cartes informatives, reproductions de gravures et de documents d’époque. Elle nous permet de retisser des liens entre la Poste et les arts. La prise de son favorise un peu trop violon et cuivres au détriment de l’accompagnement de l’étique orchestre. En revanche, les musiciens défendent ce répertoire avec engagement, souplesse et naturel. Ils ressuscitent avec bonheur une sonnerie ayant marqué durablement le quotidien de nos ancêtres.
Sonne, sonne, cor de postillon ! coffret bilingue franco-allemand, par l’Ensemble Artifices, Alice Julien-Laferrière, Romain Bockler et Jean-François Madeuf, 1 pochette comprenant 15 cartes, 2 marque-pages et un poster, Seulétoile, 2022.
Bonus vidéo sur le site https://seuletoile.fr
Concerto à 4 pour cor de chasse et cor de postillon de Johann Beer.