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Enseignement : opaques incertitudes

La démission retentissante de Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes scolaires, a manifesté la volonté du ministre de l’Éducation nationale, J.M. Blanquer, de mettre un frein aux desseins irresponsables du lobby « pédagogiste ». Il l’a fait avec clarté, mais une clarté aux contours obscurs : sa capacité à affronter le noyau dur des problèmes de l’enseignement baigne dans la plus opaque incertitude.

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Enseignement : opaques incertitudes

Michel Lussault est géographe. C’est un géographe des grandes métropoles, et de la mondialisation heureuse. Autant dire qu’il n’est pas de la même planète que son confrère Christophe Guilly, qui dénonçait en Emmanuel Macron le « candidat des métropoles mondialisées ». Mais – surprise ! – Lussault, qui aurait pu être porté par la vague macronienne, s’est vu brutalement évincé de son pouvoir exorbitant sur les programmes scolaires. Nous nous garderons bien de bouder le plaisir qu’offre le coup assené, à travers lui, à la petite troupe puissante et organisée des « pédagogistes », ceux-là même qui ont fait la pluie et le sale temps à l’Éducation nationale depuis tant d’années. Surtout les trois dernières, sous « une » ministre dont on aimerait oublier jusqu’au nom… Les mots dont, en cette circonstance, a usé son successeur, Jean-Michel Blanquer, ont plu au Figaro et à Valeurs actuelles, et déplu au Monde, à l’Obs et à Libé : voilà au moins une indication de tendance ! Mais, disons-le d’emblée, elle ne suffit en rien à nous rassurer.

On ne refera pas ici le procès du « pédagogisme », déjà condamné sans appel, et dont l’éradication totale serait une mesure de salut public. Mais il ne constitue qu’un symptôme, le mal est autrement profond. Il est directement lié à l’étatisation de l’enseignement. Non que celui-ci aspire à être privatisé comme un fabricant de voitures ou de cosmétiques, mais il aspire moins encore à demeurer assimilé aux administrations fiscale ou pénitentiaire.

La machine à broyer

Sur l’ambiance qui règne dans l’enseignement public, les témoignages se multiplient. Le plus récent, celui d’Isabelle Dignocourt – L’Éducation nationale, une machine à broyer – est particulièrement frappant. En 230 pages qui se lisent d’une traite, ce professeur de lettres raconte comment, tout en restant profondément attachée à ses élèves de milieux modestes et surtout au bonheur de leur transmettre la langue et la littérature françaises, sa vocation a été constamment contrariée et sa carrière gâchée, en butte à un incessant arbitraire administratif, mais aussi par la montée progressive de l’aberration idéologique. C’est ainsi que la loi d’orientation pour « l’avenir de l’école » de 2005 – la loi… Fillon, du nom du ministre responsable de l’époque – installa sur les autels deux nouvelles divinités : le Socle et la Compétence. Si vous ne savez pas de quoi il s’agit, Isabelle Dignocourt vous affranchira, tout en vous montrant – elle l’a vécu dans sa chair – comment l’Éducation dite nationale est devenue cette machine à broyer.

Autre ton (encore que son livre est lui aussi, truffé d’anecdotes) et perspectives différentes, mais diagnostic très voisin, chez Jean-Noël Robert (à ne pas confondre avec son homonyme japonologue du Collège de France) : professeur de lettres classiques au lycée, latiniste à l’université, auteur d’ouvrages sur la civilisation romaine édités aux Belles-lettres, son profil est plutôt d’un mandarin. Étrillant les pédagogistes de la « déséducation nationale », il s’en prend sans ménagement à l’idée que l’égalité sera respectée « en abaissant les exigences au niveau des plus faibles », à la méthode globale, à l’abandon de la chronologie et de la dictée, aux responsables du ministère pareils aux dieux d’Épicure, qui « avaient en charge la marche du monde mais ne se souciaient pas des hommes qui l’habitaient »

En lisant ces deux livres, celui du petit prof adorant ses élèves mais dont le métier « n’est plus qu’emmerdes » – et celui de l’éminent latiniste qui constate, effaré, les dégâts créés par la « démagogie ministérielle » qui « depuis plus de trente ans, vide la culture de son contenu et empêche les jeunes esprits de se structurer », après s’être pénétré de la dramatique justesse des observations de ces deux remarquables professeurs, on est aussi frappé par le caractère extrêmement ténu de leurs propositions pour en sortir.

La laïcité doit se renouveler en profondeur

Un problème aujourd’hui majeur, le communautarisme musulman, vient pourtant jeter une lumière crue sur le paysage désolé de l’enseignement public. Il appelle des solutions d’ensemble où l’enseignement joue un rôle majeur. Or on constate qu’un Jean-Noël Robert, si lucide sur les dégâts de l’Éducation nationale « depuis trente ans », reste accroché, face au défi islamique, à une forme de laïcité datant des années 1900 : un laïcisme dont on voit déjà qu’il n’a aucune chance d’être accepté par les musulmans et de parvenir à dénouer les nouvelles contradictions qui se nouent sur notre territoire. Même illusion chez Bernard Ravet, ancien principal du collège Jean-Claude Izzo, à Marseille : « Face à la montée des principes religieux qui ont opposé certaines familles, a-t-il dit, je me suis comporté en défenseur de la République comme l’imam se comporte en défenseur de la religion. »

C’est précisément ce qu’il ne faut pas faire si on veut se donner une chance d’en sortir. La laïcité doit s’ouvrir, s’équilibrer, se renouveler en profondeur. Elle doit faire toute sa place au religieux, et pas n’importe quel religieux : exclusivement celui qui a innervé les racines de la France, celui qui a instauré la distinction du temporel et du spirituel, celui qui, depuis le « Rendez à César » biblique, s’est épanoui sur le sol de France où les institutions ont, depuis l’an Mil, assuré la séparation des pouvoirs politique et religieux.

Ce sont ces mêmes institutions qui ont favorisé en France, l’apparition et le développement du système scolaire et universitaire. On a coutume de créditer Jules Ferry de « l’invention » de l’école publique, laïque et obligatoire. On sait moins qu’en 1881, « l’école était en France, depuis plusieurs siècles, à la fois laïque et obligatoire. » C’est le mérite de l’ouvrage de Virginie Subias Konofal, Histoire incorrecte de l’école, de montrer ce que fut l’émergence de l’école en France depuis le Moyen Âge, et de resituer Jules Ferry dans ce mouvement historique. Un précieux et très utile petit livre !

Le Cercle Vauban publiait il y a deux ans une brochure intitulée Pour la séparation de l’École et de l’État. C’est la formule même que reprend Rémi Fontaine dans un opuscule très bien fait, Rendez-nous l’école, qui prône, en formules claires, l’instauration d’un régime de liberté vraie, ni étatique et totalitaire, ni anarcho-
libéral. Tout un programme que Rémi Fontaine présente avec une claire simplicité. Est-ce la voie du ministre Blanquer ? Rien ne permet encore de l’assurer.

L’Éducation nationale, une machine à broyer
Isabelle Dignocourt, éd. du Rocher, 232 p., 18,90 €.

Témoin de la déséducation nationale
Jean-Noël Robert, Les Belles Lettres, 190 p., 17 €.

Histoire incorrecte de l’école
Virginie Subias Konofal, éd. du Rocher, 160 p., 13 €.

 Rendez-nous l’école !
Rémi Fontaine, éd. de l’Homme nouveau, 94 p., 7,50 €.

Pour la séparation de l’école et de l’état
Brochure du Cercle Vauban, à commander à Regalia, 8€,
1 rue de Courcelles, 75008 Paris ; Tél. 01 42 57 43 22.

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