Tribunes

Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Entretien avec Alain Laurent
Évincée du discours public (on ne parlait plus que d’une vague « responsabilité » en général…), idéologiquement discréditée par l’intelligentsia gauchisante et même certains neuroscientifiques, la responsabilité individuelle bénéficie avec l’actuelle épidémie d’un triomphal retour en grâce. Tous les… responsables politiques en appellent à elles et enjoignent à nos concitoyens d’activement l’exercer. Les mesures gouvernementales relèvent de la responsabilité collective exclusivement dans la mesure où celle-ci n’est rien d’autre qu’une conjonction de responsabilités individuelles – dont il faut cependant noter qu’elles sont en l’occurrence singulièrement confinées, cadenassées par trop de restrictions de libertés élémentaires qui infantilisent les individus (à la différence de ce qu’il en est en Suisse, en Suède ou même en Allemagne) !
Le libre exercice de la responsabilité individuelle doit naturellement s’accompagner de sanctions qui le régulent en punissant le refus volontaire de prévenir ou assumer les conséquences d’infractions à des règles communes de juste conduite. Or dans le contexte présent, le caractère excessif de certaines de ces sanctions sont proprement liberticides: restrictions abusives de la liberté de circulation, projet de cloîtrer indéfiniment les seniors au nom d’un inepte collectivisme statistique (l’appartenance à un collectif donné vous condamne forcément à la relégation). Ce genre de sanctions discrétionnaires renvoie à une appétence étatique pour la punition collective, attentatoire à une responsabilité individuelle qui ne saurait se réduire à respecter passivement et indistinctement n’importe quelle règle collective.
Dans les circonstances actuelles, il convient assurément de tenir compte des contextes ou des besoins différents selon les individus concernés. Mais sa mise en œuvre relève parfois manifestement de l’improvisation hasardeuse ou même de l’arbitraire, au nom d’une douteuse « utilité sociale » qui aurait pu être interprétée autrement ou, pire, de la « tête du client » : tandis que d’inoffensifs et prudents promeneurs solitaires étaient verbalisés, les infracteurs volontaires agissant en groupe dans les quartiers prétendument « populaires » ont bénéficié d’une grande tolérance alors que leur responsabilité individuelle était engagée.
En France, l’hypertrophie pesante de l’État-providence a en partie érodé pour ne pas dire stérilisé le sens personnel de la responsabilité et de l’autodiscipline raisonnée : attendant tout de l’État, les citoyens sont de ce fait souvent déresponsabilisés. Le gouvernement n’a fait que s’adapter à cette donne, dont il est responsable, et a accru les dégâts en dépit de ses belles paroles. En outre, dès que l’on conçoit la responsabilité collective de manière diluée et collectiviste comme celle de personne précisément ou tout le monde indistinctement, on est en plein dans la déresponsabilisation collective !
Cette application se traduit nécessairement par un traçage qui nous suivrait à la trace, et sa dénomination anglaise, le tracking, fait résonance au fait de… traquer les individus. Il s’agit donc de nous faire entrer dans une ère de surveillance intrusive par une instance surplombante qui peut repérer les déplacements et comportements de toute personne et éventuellement lui attribuer, comme en Chine, un « score social » : inciter lourdement à la généralisation de son adoption par l’octroi de privilèges est proprement scandaleux.
Avec cette application, nous entrons résolument dans l’ère d’une hyperconnexion totalement contrôlée d’en haut, par des instances privées ou publiques, voire occultes. Cela risque fort, par exemple avec l’implantation d’une puce, de se traduire par l’avènement d’un individu télésurveillé et télécommandé, rendu intégralement « calculable et prévisible », souvent animé par un besoin de « servitude volontaire » liquidant la souveraineté sur soi-même.
S’il ne saurait être question de cautionner l’inepte tendance contemporaine à répudier la démarche objective et les acquis de la scientificité, il est clair que dans certains cas on sombre dans une sorte de néo-scientisme, par exemple lorsque les neurosciences transgressent leur champ légitime de compétence pour dénier l’existence possible du libre arbitre. Quant à la Santé, surtout requalifiée en « santé publique », elle ne doit être qu’un impératif parmi d’autres n’ayant aucun droit à primer sur celui de la liberté. Dans les deux cas, c’est assurément l’exercice de la responsabilité individuelle de soi qui est en jeu.
En France, la responsabilité du politique est d’autant plus en cause que le ratage de l’État-providence dans la prévoyance et l’organisation du traitement de l’épidémie a été patent. Pour autant, cela ne valide pas le mythe français d’une « volonté générale » qui n’est jamais qu’une volonté majoritaire et dont chacun définit le contenu à sa manière – ni même d’un « commun » qui serait la santé puisque chaque individu en est le premier responsable mais qu’abondent les irresponsables en la matière.