Civilisation
Prier en poète
Y a-t-il encore des poètes ? Et qui ne se contentent pas de jeter des mots sans aucun sens, ni aucune logique ni esprit d’intelligence, au motif de laisser s’exprimer je ne sais quel moi profond.
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Stéphane Giocanti a souhaité évoquer la Commune de Paris, non pas en historien, il s’en défend – même s’il a beaucoup lu sur le sujet et cite ses sources – mais plus en « historien de l’histoire », examinant les ouvrages savants sur le sujet pour voir comment on a construit avec cet épisode de notre histoire un mythe politique toujours d’actualité. Car si notre auteur assume parfaitement ne pas être neutre, il considère que nombre des historiens de la Commune ne le sont pas plus que lui, donnant de leurs parti-pris un certain nombre d’exemples.
Il replace ainsi les évènements dans leur contexte, celui de la guerre de 1871 et de ses suites, l’invasion prussienne, le siège de Paris, la fuite du gouvernement en province. L’insurrection parisienne prétend certes continuer la lutte contre l’envahisseur – tout en étant incapable de le faire militairement – mais il s’agit surtout d’instaurer en France un pouvoir révolutionnaire en lieu et place du régime vient de s’installer sur les ruines du Second empire – et contre lequel cette insurrection, faite sous les yeux de l’ennemi, engage les premières hostilités armées. La Commune n’est ensuite pas un soulèvement spontané, mais le fruit de choix de révolutionnaires formés entre autres à l’école de Blanqui. Elle ne touche que partiellement la population ouvrière, choque rapidement certains de ceux qui l’ont permis, et se termine dans un jusqu’au-boutisme incendiaire qui n’empêche pas nombre de ses dirigeants d’échapper à la répression en fuyant à l’étranger, où certains vivront de leurs rapines.
Pour autant, à aucun moment Giocanti ne justifie la répression aveugle des Versaillais, ces excès de la Semaine sanglante où être ouvrier vous conduisait devant un peloton – un de ses ancêtres échappa de peu à ce sort. Même face à la réalité de la Commune, cette violence, d’autant plus dangereuse qu’elle est celle des garants de l’ordre public, n’est en rien excusable. Mais le reproche que fait notre auteur à certains historiens est de partir de la fin de l’histoire, de cette répression, pour remonter le fil du temps, ce qui conduit à excuser les violences de ceux qui ne sont jamais ainsi que de futures victimes qui, sachant que leur martyre venait, étaient poussés à des excès. La violence de la Commune n’est pas qu’une réponse ou une anticipation de celle des Versaillais. Elle est le fruit de la conjonction entre une théorie révolutionnaire, qui en fait un mode nécessaire de prise et d’exercice du pouvoir, et les pires sentiments de l’homme, toujours prêts à ressurgir.
En lisant Giocanti, on se trouve en fait face à une question politiquement importante, celle de savoir si les ennemis de nos ennemis sont nécessairement nos amis. La droite bourgeoise qui a accaparé le pouvoir depuis 1789 a commis bien des excès, et comme le dit Bernanos de ceux de 1793, elle sut, pour les faire oublier, barbouiller le peuple du sang qu’elle avait fait couler. À chaque fois depuis qu’elle eut peur du peuple – 1795, 1848, 1871, 1934, et la liste n’est pas close –, elle réprima sans pitié non seulement les violences mais aussi les rebellions légitimes. De là sans doute une sorte de « chic » au sein de la droite « radicale », un doux snobisme intellectuel qui consiste à se croire des affinités politiques avec les victimes de ces violences : on porte des fleurs au mur des fédérés, on imagine une « union des luttes »…
Après avoir lu Giocanti, on a envie comme lui de clarifier les choses. Certes, on peut se reconnaître parfois en politique des ennemis communs, et de nos jours, face à aux ravages de l’individualisme hédoniste du libéralisme mondialisé, certaines révoltes sont pleinement compréhensibles. Mais cela ne doit pas faire illusion : là où les uns veulent détruire un faux ordre, qui n’est en fait qu’un chaos organisé, pour restaurer des valeurs et conserver la Cité, les autres, quand ils ne tirent pas une joie malsaine du chaos pour le chaos, entendent faire table rase de tout pour bâtir une société nouvelle qui n’a jamais existé que dans leurs songes de progressistes.
On peut faire de la politique sur tout… mais pas avec n’importe qui. Comme le montre Giocanti, le chouan des armées de l’Ouest – ou, pour lui faire plaisir, le Blanc du Midi ou le Corse traditionnel – ont peu de points communs avec la pétroleuse exaltée. On ne peut confondre les sursauts d’un peuple organique conduit malgré lui à l’abattoir avec les violences aigries de ces pillards qui ne sont jamais qu’une autre facette de la société de consommation. Des « révolutionnaires » qui n’offrent un visage souriant que derrière les masques que leur confectionnent les médias au quotidien, ou, pour ceux du passé, des historiens par trop complaisants. Merci à Stéphane Giocanti de le rappeler.