Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Ce n’est pas la technologie qui peut sauver la France, par une manière de miracle progressiste où les moyens mis en œuvre suffiraient seuls, sans qu’on se préoccupe du sens des innovations.
Macron, le 15 septembre, a ironisé sur les Amish – qui savent téléphoner mais ne font pas de l’engin un fétiche d’intelligence – et la lampe à huile. Comme tous les progressistes, il est animé par un fanatisme technologique qui ne peut concevoir qu’on refuse une nouveauté au prétexte que ses effets seraient mauvais. François Jarrige et Jean-Baptiste Fressoz, talentueux historiens technocritiques, ont à plusieurs reprises raillé avec science et finesse les délires technophiles des partisans d’une évolution humaine aidée et même orientée par les “innovations”, cette catégorie d’objets surhumains. Ils viennent tous deux de faire paraître deux articles que nous allons résumer ici, à gros traits, car ils pointent et les défauts de l’argumentation présidentielle et les défauts de la culture technique et technologique des Marcheurs (rappelons que Sibeth Ndiaye a expliqué le 23 septembre, avec son mépris habituel, que le gouvernement avait « souffert d’un défaut d’acculturation scientifique dans la population » dans le traitement de l’épidémie). La chose pourrait n’être qu’anecdotique mais en fait elle est cruciale : tout le plan de relance est sous-tendu par une mystique solutionniste à base de numérique, d’hydrogène et autres innovations de rupture, alors même que l’histoire des technologies prouve qu’il faut les analyser pour en comprendre les dangers intrinsèques, systématiquement niés par les tenants du progrès.
La 5G, donc, va nous permettre de réussir la transition écologique, d’instaurer la démocratie participative, liquider l’épidémie et guérir les écrouelles. Comme le dit Jarrige, « l’innovation est de plus en plus considérée de façon enthousiaste, elle devient le moteur de l’histoire et la condition de l’émancipation ; elle est également de plus en plus identifiée et ramenée à la sphère de la production et des techniques. […] La notion d’innovation a une visée performative, elle est promue par des acteurs engagés dans la défense de la nouveauté, par des entrepreneurs en quête de marchés, elle s’accompagne de promesses incessantes, où les effets sociaux, sanitaires et environnementaux sont minorés ou rendus invisibles. » Alors même qu’on découvre chaque jour de nouveaux effets pervers des précédentes innovations, matières plastiques, agro-industries ou usages numériques, il est hors de question de remettre en cause le dogme du Digital, de même qu’il était impensable, pour la bourgeoisie XIXe, de ne pas vénérer la Machine. Et pourtant, s’il est une leçon à tirer de ces deux derniers siècles, c’est que le progrès n’est pas linéaire et que les choix techniques auraient dû et devraient toujours être évalués au regard du bien commun, au regard de leurs effets sociaux, c’est-à-dire politiques, la Cité ne se réduisant pas au Marché. Mais non, on préfère monter dans le train du progrès, à sustentation magnétique, et foncer dans l’inconnu.
Mais que nous dit Fressoz, qui tient une très bonne chronique dans Le Monde ? Que ceux qui moquent les réactionnaires rétifs au progrès ont en fait constamment ignoré, sur le moment, les effets pervers immédiatement perceptibles de ce progrès : la voiture, sport de riches, diminuait les distances et écrasaient les piétons ; « en 1860, alors que naissait la [fausse] rumeur d’une crainte liant folie et chemins de fer, les tribunaux commençaient à indemniser les traumatismes nerveux causés par les accidents ferroviaires, ce qui n’avait rien à voir avec la danse de Saint-Guy. En fait, les innombrables plaintes, procès et pétitions ne s’opposaient pas aux chemins de fer mais aux accidents qu’ils provoquaient et aux compagnies soupçonnées de faire des économies au détriment de la sécurité des voyageurs. La sécurité actuelle des systèmes ferroviaires est l’heureuse héritière de ces contestations. » (Le Monde). Le corollaire de cette immédiate cécité volontaire est une ignorance complète de la véritable histoire des techniques. Dans un article passionnant, « Une histoire matérielle de la lumière », Fressoz revient sur l’incroyable innovation qu’a représentée la lampe à huile à mèche cylindrique creuse et à double courant d’air (qui a éclairé tout le monde, l’éclairage au gaz n’étant réservé qu’aux très riches). Mais la bougie elle-même, contre-fétiche des progressistes (et des libéraux, avec Bastiat), innove avec la stéarine au point que les start-up bougifères, comme on ne disait pas, explosent à la fin des années 1830, avec spéculation boursière à la clé. Bref, Macron aurait dû choisir un autre exemple. Et Macron devrait réfléchir aux effets de la 5G. Et à la manière dont la France dépend, grâce à lui, des acteurs numériques américains.