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Du blasphème et de l’hérésie en démocratie

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Du blasphème et de l’hérésie en démocratie

Chaque régime politique a son propre récit mythologique : une fable officielle qui explique comment ce régime est apparu et pourquoi il est sans conteste le meilleur régime possible. Cette fable, sans être nécessairement entièrement fausse, n’a bien sûr, dans le meilleur des cas, qu’un rapport assez lointain avec la vérité.
Chaque régime tend aussi à dégénérer, c’est-à-dire à pousser ses propres principes au bout de leur logique, et ainsi à s’autodétruire. Comme l’écrivait par exemple Montesquieu, dans le dix-septième chapitre du livre VIII de l’Esprit des lois (intitulé « De la corruption des principes des trois gouvernements ») : « Les fleuves courent se mêler dans la mer : les monarchies vont se perdre dans le despotisme. »
Le récit mythologique propre au régime politique qui est actuellement le nôtre peut être résumé ainsi : avant 1789, la France végétait stupidement dans les ténèbres de la superstition religieuse (catholique) et gémissait dans les fers du despotisme (monarchique). Puis, vers le XVIIIe siècle, survint une révélation : tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. De cette révélation, quelques courageux apôtres de l’égalité firent une révolution, qui délivra le peuple de ses entraves et ôta le noir bandeau que les prêtres avaient noué sur ses yeux.
Depuis ce temps glorieux, nous vivons sous le règne, certes imparfait mais en perfectionnement constant, de la raison, de la tolérance et de la liberté.
Et ce qui prouve d’ailleurs de manière démonstrative cette affirmation, c’est que nous nous sommes débarrassés de pratiques aussi atroces qu’irrationnelles, comme la pénalisation du blasphème ou de l’hérésie. Nous ne punissons plus les blasphémateurs, nous n’envoyons plus les hérétiques au bûcher, alors que chacun sait que cela était monnaie courante « au Moyen-Âge » et, de nos jours, le moindre citoyen jouit d’une absolue liberté de conscience et de paroles.

Telle est la légende dorée.

La réalité est, comme toujours, bien moins glorieuse. Déjà, dans De la démocratie en Amérique, Tocqueville remarquait que le régime démocratique et laïc produisait un type de conformisme qui lui était propre et que la chasse aux opinions hérétiques – contraires aux dogmes fondamentaux du régime – n’y existait pas moins que dans les régimes aristocratiques et pourvus d’une religion officielle, quoique sous une forme différente, et peut-être plus dangereuse.
« En Amérique », écrivait-il, « la majorité trace un cercle formidable autour de la pensée. Au-dedans de ces limites l’écrivain est libre ; mais malheur à lui s’il ose en sortir. Ce n’est pas qu’il ait à craindre un auto-da-fé, mais il est en butte à des dégoûts de tous genres et à des persécutions de tous les jours. La carrière politique lui est fermée : il a offensé la seule puissance qui ait la faculté de l’ouvrir. On lui refuse tout, jusqu’à la gloire. Avant de publier ses opinions, il croyait avoir des partisans ; il lui semble qu’il n’en a plus, maintenant qu’il s’est découvert à tous ; car ceux qui le blâment s’expriment hautement, et ceux qui pensent comme lui, sans avoir son courage, se taisent et s’éloignent. Il cède, il plie enfin sous l’effort de chaque jour, et rentre dans le silence, comme s’il éprouvait des remords d’avoir dit vrai. »
Et il ajoutait : « L’inquisition n’a jamais pu empêcher qu’il ne circulât en Espagne des livres contraires à la religion du plus grand nombre. L’empire de la majorité fait mieux aux États-Unis : elle a ôté jusqu’à la pensée d’en publier. »
En faisant ce sombre diagnostic, Tocqueville était sans doute plus prophète que sociologue, ou plutôt, ce qu’il décrivait était moins la réalité des États-Unis de son temps que la logique ultime des principes démocratiques de l’Amérique telle qu’il la percevait ; à peu près de la même manière que « la Constitution d’Angleterre » dans L’Esprit des lois est bien moins une description de la monarchie anglaise telle qu’elle existait du temps de Montesquieu qu’une exposition de ce qu’elle aurait dû être pour réaliser pleinement son « objet direct », à savoir « la liberté politique ». En 1835, il existait encore des forces de rappel en Amérique, des barrières au règne sans partage du dogme de l’égalité et donc un espace pour la liberté d’esprit.
« Si l’Amérique n’a pas encore eu de grands écrivains », écrivait Tocqueville, « nous ne devons pas en chercher ailleurs les raisons : il n’existe pas de génie littéraire sans liberté d’esprit, et il n’y a pas de liberté d’esprit en Amérique. » Depuis, il serait assurément injuste de dire que l’Amérique n’a pas produit de grand écrivain ni, plus généralement, de grandes œuvres de l’esprit. De la même manière, le régime républicain n’a pas régné sans partage en France après 1789, ni politiquement ni intellectuellement, et la liberté d’esprit n’a pas brusquement déserté la France après la prise de la Bastille. La France a continué pendant longtemps à produire de grands hommes et de grandes œuvres, de belles actions et de belles choses.

Le citoyen en danger permanent

Mais, pour des raisons multiples et impossibles à retracer dans le court espace de cet article, les contrepoids et les contrepouvoirs ont peu à peu disparu et, depuis environ un demi-siècle, des deux côtés de l’océan Atlantique, l’idée d’égalité parait devenue folle. D’une égalité plausible et honorable – l’honorable désir de se gouverner soi-même, évoqué par les Pères Fondateurs des États-Unis – nous sommes passés à une égalité délirante et destructrice. De l’égale dignité des hommes et des femmes, par exemple, nous sommes passés au dogme de l’interchangeabilité des sexes, c’est-à-dire à la négation de notre nature corporelle et sexuée. De l’égalité en droits naturels de tous les êtres humains, nous sommes passés au dogme de l’égalité des intelligences et des modes de vie, c’est-à-dire à la négation de notre nature d’animaux politiques et moraux. Et ainsi de suite.
Et, à mesure que les droits naturels de l’Homme, qui au moins peuvent s’énoncer clairement et se défendre rationnellement, se transformaient en « valeurs de la République » ineffables et indicibles, nous avons assisté au retour de pratiques que nous pensions, bien naïvement, réservées aux siècles passés.
Nous avons désormais nos crimes d’hérésie et de blasphème ainsi que nos tribunaux d’inquisition solidement établis. Nous traquons de manière toujours plus obsessionnelle les « mauvaises pensées » et les « mauvaises paroles », qui sont celles qui pourraient outrager la déesse égalité : sexisme, élitisme, racisme, mais aussi plus récemment islamophobie, validisme ou spécisme, qui sont les noms de ces nouvelles hérésies, partout pourchassées et sans cesse renaissantes sous des formes différentes, car, comme l’horizon, l’égalité fuit nécessairement devant nous à mesure que nous croyons l’approcher. Terribles et sans appel sont les arrêts des gardiens de nos dogmes « républicains », et d’autant plus terribles que, pour l’essentiel, ces tribunaux sont informels et extra-légaux. Qu’ils échappent par conséquent à toutes les garanties procédurales patiemment dégagées au cours des siècles et dont certaines – mais oui – existaient devant les tribunaux de l’inquisition « historique », celle de l’Église catholique.
Au chapitre cinq du douzième livre de l’Esprit des lois, Montesquieu énonce cette « maxime importante » : « il faut être très circonspect dans la poursuite de la magie et de l’hérésie. L’accusation de ces deux crimes peut extrêmement choquer la liberté, et être la source d’une infinité de tyrannies, si le législateur ne sait la borner. Car, comme elle ne porte pas directement sur les actions d’un citoyen, mais plutôt sur l’idée que l’on s’est faite de son caractère, elle devient dangereuse à proportion de l’ignorance du peuple; et pour lors un citoyen est toujours en danger, parce que la meilleure conduite du monde, la morale la plus pure, la pratique de tous les devoirs, ne sont pas des garants contre les soupçons de ces crimes. »
Qui ne voit aujourd’hui la vérité de cette observation ? Les pouvoirs publics ont pratiquement abdiqué devant les coups de force perpétrés par les fanatiques de l’égalité – qui se nomment eux-mêmes les « éveillés » (les Woke) – qui pourchassent avec un zèle et une confiance croissante en leurs forces les hérétiques, les blasphémateurs et les magiciens. À savoir : ceux qui ne croient pas que toutes les cultures et les civilisations se valent, et qui par conséquent ne regardent pas le colonialisme et l’impérialisme comme les crimes les plus odieux qui soient ; et ceux qui perpétuent la « culture du viol » et le « patriarcat » en tenant la porte à une femme et en n’utilisant pas l’écriture inclusive. Entre autres pensées et pratiques abominables.
Il en résulte une « infinité de tyrannies » qui « choquent extrêmement la liberté » et qui font que tout citoyen est toujours en danger, quelle que soit la pureté de sa moralité et la rigueur avec laquelle il observe ses devoirs. Non pas, certes, en danger d’être exécuté en place de grève – pas encore – mais en danger de subir harcèlement, humiliation publique, ostracisme, éventuellement procédure judiciaire usante et ruineuse et perte de ses moyens de subsistance.
« Sous le gouvernement absolu d’un seul », écrivait Tocqueville, « le despotisme, pour arriver à l’âme, frappait grossièrement le corps ; et l’âme, échappant à ces coups, s’élevait glorieuse au-dessus de lui ; mais dans les républiques démocratiques, ce n’est point ainsi que procède la tyrannie ; elle laisse le corps et va droit à l’âme. Le maître n’y dit plus : Vous penserez comme moi, ou vous mourrez ; il dit : Vous êtes libres de ne point penser ainsi que moi ; votre vie, vos biens, tout vous reste ; mais de ce jour vous êtes un étranger parmi nous. Vous garderez vos privilèges à la cité, mais ils vous deviendront inutiles ; car si vous briguez le choix de vos concitoyens, ils ne vous l’accorderont point, et si vous ne demandez que leur estime, ils feindront encore de vous la refuser. Vous resterez parmi les hommes, mais vous perdrez vos droits à l’humanité. Quand vous vous approcherez de vos semblables, ils vous fuiront comme un être impur ; et ceux qui croient à votre innocence, ceux-là mêmes vous abandonneront, car on les fuirait à leur tour. Allez en paix, je vous laisse la vie, mais je vous la laisse pire que la mort. »
Nous y sommes.

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