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Dialogue sur Pascal, partie II : Gouverner la société

« Pascal veut mettre l’accent sur la conversion du cœur et ne veut pas moraliser abstraitement la vie économique et sociale ». À l’occasion de la parution de Pascal et la proposition chrétienne, Politique Magazine a proposé à son auteur, Pierre Manent, et à M. l’abbé de Tanoüarn, qui fit paraître Parier avec Pascal en 2012, d’échanger leurs vues sur la pertinence et l’actualité du penseur. Une rencontre animée par Francis Venciton et retranscrite par Pascal Cauchy.

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Dialogue sur Pascal, partie II : Gouverner la société

Politique Magazine : Cette proposition chrétienne telle que la voit Pascal permet-elle d’induire des principes moraux, sociaux, voire politiques ?

Pierre Manent : Pour ouvrir une parenthèse, il me semble que dans certains exposés thomistes, on prend pour ainsi dire ses assurances. Le premier étage est celui de la raison qui prouve que Dieu existe. Le second étage postule que ce Dieu qui existe est le Dieu qui a été révélé par les Écritures, le Dieu de Jésus-Christ. Pascal ne procède pas ainsi car, à ses yeux, il n’y a pas de lien nécessaire entre le premier étage et le second. On ne peut aller du premier au second que si l’on peut aller directement au Dieu de Jésus-Christ.

Abbé de Tanoüarn : Je me retrouve dans ce que vous dites et je retrouve ma formation de jeune séminariste très conservateur à Écône où on nous enseignait Dieu comme abstraction. Dans la deuxième année de séminaire, j’ai explosé en disant que je ne cherchais pas une abstraction, que cela ne m’intéressait pas. J’ai découvert alors le cardinal de Bérulle, Discours de l’état et des grandeurs de Jésus, que j’allais proclamer dans les vignes, loin de tout le monde, avec enthousiasme. Pierre de Bérulle, c’est l’école française de spiritualité – et les prémices de Pascal : il est mort en 1629. La grande force de l’école française de spiritualité, c’est de tout centrer sur Jésus-Christ. Mgr Lefebvre était de cette école, au point d’avoir pu dire qu’il n’y a pas au ciel d’autre Dieu que Notre Seigneur Jésus-Christ, phrase qui m’a beaucoup marqué. Car, une fois encore, les abstractions que l’on produit autour de Dieu ne sont pas la religion. Elles sont vides, ce sont des manières de parler.

Pierre Manent : Comme le dit très bien Pascal, une fois que l’on a fait la démonstration, il faut la recommencer de peur que l’on se soit trompé. Il faut lire les débats des philosophes sur l’existence de Dieu, c’est un exercice intellectuel, mais qui n’est jamais concluant. On ne prouve, si on le prouve, qu’un Dieu inerte qui ne peut nous défendre contre la « mort de Dieu ». Certains chrétiens, qui sentent bien que ces preuves ne donnent pas ce qu’ils désirent, sont tentés de se réfugier dans une approche affective, ce que ne fait pas Pascal. Nous n’avons pas à choisir entre une religion rationnelle et une religion sentimentale. La religion de Pascal consiste en un mouvement de l’âme constamment alimenté par l’adhésion docile à la grâce de Dieu. C’est cette vie de l’âme que Pascal excite en nous et qu’il nous désigne comme la chose désirable. Dans sa correspondance, en particulier, il souligne ce renouvellement constant de la grâce qui fait la vie de l’âme, cette nouveauté constante qu’est la vie du chrétien. C’est pour cela que je proteste contre la réputation de tristesse que l’on a faite à la religion de Pascal : celle-ci est peut-être sévère, elle n’est pas triste !

Abbé de Tanoüarn : Il y a là un malentendu entre jésuites et jansénistes. On accuse souvent le jansénisme d’être un moralisme alors que, quand on y réfléchit, ce sont les jésuites qui ont moralisé la religion. Ce sont les jésuites qui, à travers leurs cas de conscience et leur probabilisme, ont forcé l’homme à agir selon un certain ordre social. En revanche, les jansénistes, croyant à la grâce efficace, à cet élan vers Dieu qui vient du plus intime de chacun, estiment que si cet élan n’est pas présent il n’y a rien à faire. Il ne faut pas contraindre les personnes. Je pense ici à la pédagogie des Petites Écoles de Port-Royal comparée à celle des jésuites. Les jésuites avaient recours, au XVIIe siècle, aux châtiments corporels. Chez les jansénistes, dont Racine était un élève, on considérait que si l’élève ne travaillait pas, la porte était ouverte. Il n’y avait pas l’idée de contraindre. Car le bien vient d’une grâce intérieure. Dieu met chacun devant son propre défi. Il y a une dimension très moderne du jansénisme qui rend la religion infiniment plus compréhensible que ce jésuitisme qui a voulu, au fond, capter une société qui était en train de se déchristianiser et qui a solidarisé la prédication chrétienne, ou la proposition chrétienne, avec une société en voie de déchristianisation. On a mis en avant une conduite morale et non pas la foi intérieure. Je pense que c’est le principal malentendu que l’on doit au jésuites, la relecture de Pascal que fait Pierre Manent nous aide à le dissiper. Il n’y a pas plus moderne que Pascal parce que Pascal s’adresse à l’intime, à l’intérieur de chacun d’entre nous. Il ne s’agit pas d’une tentative de « restaurationnisme », il ne s’agit pas de sauver une forme sociale déjà déchristianisée, sèche et vide.

Pierre Manent : Sur l’éducation, effectivement, les pages de Pierre Nicole sont sans équivoque. Si un ministre de l’Éducation les faisait siennes aujourd’hui, ce serait l’indignation générale. Elles sont d’un « laxisme » intégral…

Ce que vous venez de dire, Monsieur l’abbé, est très important. Dans une chrétienté fragilisée et bientôt presque ruinée par la critique moderne, il y a eu, chez les esprits métaphysiques ou les esprits politiques, un attrait fort vif pour une certaine idée de l’ordre. C’est ce qui explique l’association historique d’un certain thomisme et du maurrassisme. L’idée d’ordre en elle-même est légitime, mais il y a un risque à solidariser religion et politique et à les combiner dans une dogmatique de l’ordre.

« Le jésuitisme a solidarisé la prédication chrétienne avec une société en voie de déchristianisation. »

Abbé de Tanoüarn : C’est un peu ce que l’on peut reprocher à la doctrine sociale de l’Église, telle qu’enseignée par un pape comme Pie XII. Elle se fonde sur une idée de la nature dont Pascal dirait qu’elle n’est pas aussi claire, aussi nette que cela. Qu’elle est en perpétuelle contradiction avec elle-même. On ne peut pas fonder sur un naturalisme politique un projet « restaurationniste », c’est une perte de temps parce que la nature est impuissante à fonder quoi que ce soit. C’est la nouveauté de la grâce qui fonde.

Pierre Manent : C’est la tendance presque inévitable de l’Église moderne et des amis de l’ordre à l’époque moderne. Cette critique au nom de l’ordre peut avoir des aspects justes mais, ultimement, cette idée de l’ordre, étant trop abstraite, reste stérile, elle ne parvient pas à toucher le cœur des acteurs, à leur fournir des motifs d’agir. Vous parliez, Monsieur l’abbé, de la doctrine sociale de l’Église. Évoquant ce que nous appelons l’économie, Pascal dit à la fois qu’elle est le royaume de la concupiscence, de la convoitise, de la cupidité, et qu’en même temps elle satisfait admirablement les besoins humains.

Abbé de Tanoüarn : Le beau tableau de la concupiscence1

Pierre Manent… qui s’offre comme un beau tableau de la charité ! Nicole dit la même chose : pourquoi dans un pays comme la Turquie, où la charité n’a pas de place puisque la vraie religion n’y a pas de place, les besoins humains sont-ils satisfaits aussi bien que dans les pays chrétiens ? Parce que l’esprit humain, en s’appuyant sur les ressorts de la concupiscence, produit des effets analogues à ceux que produirait la charité. Pascal nous place devant l’énorme ambiguïté de la condition humaine. Nous sommes mus par des passions qui doivent être réprimées ou au moins modérées, mais ces passions sont aussi la source de la vitalité du corps social. La doctrine de l’Église cherche un moyen terme : faire une place à la concupiscence mais la plus limitée possible. On dit aux patrons du CAC 40 : « Faites une entreprise profitable, mais doucement sur les bonus ! » Cela est raisonnable comme élément d’orientation, mais cela ne fait qu’effleurer la question sociale et morale. J’admets que si, comme Pascal, l’on dit aux gens : « Votre concupiscence est damnable, mais admirez les merveilles qu’elle accomplit… », ils vont être jetés dans la perplexité ! Pascal en tout cas veut mettre l’accent sur la conversion du cœur et, pour le reste, pour la vie économique et sociale, il refuse de moraliser abstraitement. Convertissez-vous et laissez à la société ses ressorts.

Abbé de Tanoüarn : Acceptez le désordre établi !

Pierre Manent : Pour une part, oui.

Abbé de Tanoüarn : Est-ce qu’il n’y a pas, chez Louis XIV, une confusion entre le religieux et le politique, entre ce qui est volontaire et ce qui est a priori. Ce qui expliquerait, par exemple, la détestation profonde de Louis XIV pour les jansénistes. Qui, eux, ne font pas la confusion entre le religieux et le politique et qui n’en veulent pas. Louis XIV est allé jusqu’à déterrer les morts pour éviter tout culte à leur endroit, il a envoyé en 1709 sa police à Port-Royal, où il ne restait pratiquement rien, et lui a demandé de déterrer les religieuses qui étaient de ce couvent et de tout mettre à la fosse commune. Cet acte me semble suffisamment extravagant pour que l’on puisse l’interroger sous la forme d’une question : n’y a-t-il pas, chez Louis XIV, une première forme de totalitarisme ? Un proto-fascisme louisquatorzien dans l’idée que la religion et la politique ne doivent faire qu’un ?

Pierre Manent : Je ne pense pas que l’on puisse parler de fascisme, de totalitarisme non plus, ni non plus de la tyrannie d’un homme qui utiliserait simplement la religion pour son propre pouvoir. Je crois que Louis XIV était un catholique sincère et très attaché à l’Église, mais il fallait absolument que l’Église soit soumise à l’ordre politique. De fait, pour l’essentiel, l’Église de France se conformait à ses volontés. Ce qui explique l’étrange violence de Louis XIV contre Port-Royal, c’est que Port-Royal se présentait aux contemporains, y compris aux étrangers, comme un îlot, étroit mais influent et prestigieux, de liberté dans un ordre politique où la main du Roi se faisait de plus en plus pesante. Il est très frappant de voir que les jansénistes sont populaires en Angleterre. Locke traduit des essais jansénistes. Hume dit que c’est à Port-Royal que l’on trouve les dernières étincelles de la liberté française. Avec Louis XIV, il y a une sorte d’exagération de la monarchie, mais je ne parlerais pas de totalitarisme.

Abbé de Tanoüarn : J’applique ce mot de proto-fascisme strictement à la confusion qu’il y a entre le religieux et le politique qui me semble incontestable chez Louis XIV, en particulier dans son traitement de l’affaire janséniste où l’on avait des gens comme Pascal qui était fondamentalement royaliste et qui n’était pas contre le Roi. Les Bourbons se sont sentis obligés de poursuivre la politique antijanséniste, jusqu’aux billets de confession en plein XVIIIe siècle où il fallait se confesser auprès d’un pasteur antijanséniste. Le billet signifiait que l’on était apte à vivre dans une société royale et chrétienne.

Pierre Manent : Vous avez raison, une certaine orthodoxie religieuse est ici mise au service de l’ordre politique.

Abbé de Tanoüarn : Pour Louis XIV, le fait que ces jansénistes, brillants intellectuellement, ne deviennent pas des serviteurs du Roi mais des serviteurs de Dieu, comme ces Messieurs de Port-Royal qui, au lieu d’être de zélés juristes, ne sont pas au service du Roi Bourbon, est insane. Pour Louis XIV, cela n’a pas de sens. Pour la même raison, les Bourbons détesteront les moines. Il y a chez Colbert, déjà, des actes antimonastiques, que l’on retrouvera à la Révolution. L’Ancien régime et la Révolution ont, entre eux, des points communs. Il me semble que cette espèce de fascisme se retrouve dans le projet républicain de Rousseau. L’affaire des convulsionnaires de Saint-Médard, en 1732, avec une ordonnance royale qui ferme le cimetière en prenant position sur la fausseté des miracles qui y auraient lieu parce qu’ils surviendraient sur la tombe d’un prêtre janséniste, est symptomatique. « De par le roi, défense à Dieu de faire miracle en ce lieu », comme on se moqua à l’époque.

Pierre Manent : La question des miracles est très intéressante. Il y a dans le jansénisme, dans sa tendance à la critique de l’institution ecclésiale, la tentation d’un gouvernement direct de Dieu sur son Église. Un gouvernement direct de Dieu qui mettrait entre parenthèses les institutions officielles de l’Église. D’où, pour Pascal, l’importance décisive du « miracle de la Sainte Épine », miracle par lequel sa nièce et filleule fut guérie d’une terrible fistule à l’œil. Pascal a vu dans ce miracle, en 1656, la preuve que Dieu est avec Port-Royal, l’attestation qu’il regarde avec faveur la « sainte maison ».

Abbé de Tanoüarn : Il y a eu un deuxième miracle, avec la fille de Philippe de Champaigne qui a été miraculée. Dieu a choisi, à chaque fois, l’élite janséniste pour faire ses miracles.

Pierre Manent : On comprend que pour l’autorité, royale comme ecclésiale, ces miracles soient « déstabilisants » !

 


Pierre Manent, Pascal et la proposition chrétienne. Grasset, 2022, 428 p.

Abbé Guillaume de Tanoüarn, Parier avec Pascal. Le Cerf, 2012, 314 p.

 

 

 

1« Grandeur de l’homme dans sa concupiscence même, d’en avoir su tirer un règlement admirable et en avoir fait un tableau de la charité. » Pascal, Pensées, éd. Le Guern (Pléiade, Folio), n°109. NDLR.

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