Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
En permettant aux médecins d’aller vers leurs patients et en transférant aux infirmières une partie du pouvoir prescriptif, la situation quotidienne de millions de Français pourrait aller en s’améliorant.
À Dreux où j’habite, un “bus santé” sillonne les marchés depuis le début de l’année, se limitant à des services de prévention (dépistage, vaccination). L’offre de médecins généralistes s’est en effet considérablement réduite ces dernières années : c’est dire l’urgence de la situation dans cette ville de 30 000 habitants, mais aussi dans les 11 329 communes de France classées comme déserts médicaux.
Une pénurie liée à une simple cause administrative : le numerus clausus qui, ces dernières années, en bloquant le nombre de médecins formés annuellement à 8 000 contre 13 000 dans les années 70, a provoqué une hausse remarquable de l’âge moyen des médecins, qui sont désormais un sur deux à avoir plus de 60 ans.
Cette erreur de prévision a aujourd’hui des répercussions concrètes sur la vie de huit millions de Français qui pâtissent de délais extrêmement longs pour obtenir un rendez-vous, de distances parfois trop grandes à parcourir pour consulter un spécialiste, ou vivent même parfois des situations d’urgence impossibles à traiter ; des situations quotidiennes dramatiques, loin de l’agitation des grandes villes et des lieux de pouvoir.
Les maires sont en première ligne pour se battre contre cette désertification. La première solution envisagée est souvent de faire venir des médecins étrangers, en contrepartie d’avantages attractifs pour eux, mais coûteux pour les villes : revenu garanti, frais d’installation offerts, etc. La conclusion est parfois amère : une fois que le médecin est agréé et intégré au système français, il peut arriver qu’il quitte la commune pour des villes plus attirantes. La deuxième solution possible, ce sont les maisons médicales. Elles échappent en partie aux critiques qu’on peut faire à ces « primes à l’installation » ruineuses, et qui transforment peu ou prou le médecin en fonctionnaire. Les maisons médicales permettent au moins de lutter contre la solitude du praticien et aussi d’envisager plus sereinement, en les mutualisant, les investissements nécessaires à la télémédecine. Elles concentrent, surtout, tous les services – quand ils existent… – mais encore faut-il pouvoir se déplacer.
La France bénéficie d’un nombre important d’infirmières, bien formées, proches des préoccupations quotidiennes des populations, tenant souvent lieu d’unique interlocuteur pour des personnes isolées. Dans le contexte de crise actuelle, les autoriser à prescrire un certain nombre d’actes médicaux simples réservés aux médecins sans réelle justification me paraît être du bon sens. Surtout à une époque où le dossier médical informatisé permet à tous les acteurs de la chaîne de soins de contrôler les actions des uns et des autres.
Revenons-en enfin au bus santé mis en place à Dreux. Il est aujourd’hui inefficace car limité à de simples informations médicales, sans possibilité de consultation ou de prescription. À l’heure où la mode est au développement du télétravail et même de la télémédecine avec consultation à distance, il paraît étrange d’exiger des médecins qu’ils aient un cabinet fixe, ce qui entraîne immédiatement des frais pour le nouveau médecin (ou pour la commune), alors que de nombreux métiers sont déjà forains, c’est-à-dire vagabonds, et que cette mobilité correspond aux nouveaux usages, sans altérer l’indispensable contact humain et le diagnostic précis qu’il permet. Une “expérience” de dentisterie mobile, allant d’Ehpad en Ehpad, est en cours en Auvergne : voilà qui est pertinent !
Mettre en œuvre ces solutions n’a rien de compliqué. Il ne s’agirait que de volonté politique, dont on sait qu’elle s’exprime très souvent sur des sujets moins urgents. Et elle ne s’appliquerait qu’à une révision de règlements administratifs dépassés, sans plus aucun lien avec la réalité médicale du territoire, des actes, des formations, des usages… Inutile donc d’« expérimenter de nouvelles approches », comme l’évoque la loi de financement de la Sécurité sociale. Les politiques publiques devraient ici simplement se contenter de s’adapter aux réalités profondes du pays.