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Convoi de femmes

Avec ce film, c’est la deuxième fois que William Augustus Wellman (1896-1975) a l’honneur de ces colonnes, après The Ox Bow Incident (L’Etrange incident, 1943).

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Convoi de femmes

Un excellent western après un autre (tout aussi excellent) western, genre qui permit à Wellman d’exprimer tout son génie autant qu’une sensibilité à nulle autre pareille chez d’autres réalisateurs – bien qu’on puisse aisément le comparer à John Ford ou à Raoul Walsh. Excepté son Buffalo Bill (1943, avec Joel McCrea, Linda Darnell et Maureen O’Hara), trop hagiographique pour être totalement convaincant et, surtout, assez maladroit dans le montage (sans parler du choix de McCrea ; beaucoup plus solide sera The Plainsman de Cecil B De Mille tourné en 1936, avec Gary Cooper dans le rôle-titre), on pourra citer sans rougir La Ville Abandonnée (Yellow Sky, 1948 avec Gregory Peck et Anne Baxter), Au-delà du Missouri (Across the Wide Missouri, 1950 avec Clark Gable, en dépit d’un montage particulièrement saccagé) et, bien sûr, Convoi de Femmes (Westward the Women) tourné en 1950 avec Robert Taylor, John McIntire, Denise Darcel, Hope Emerson (« la » géante d’Hollywood aux mensurations hors-normes : près de deux mètres et un quintal bien pesé) et Julie Bishop.

Sur un scénario de Charles Schnee (La Rivière rouge, Les Ensorcelés, Quinze jours ailleurs) d’après une idée de Frank Capra (L’Homme de la rue, Monsieur Smith au Sénat, La Vie est belle), le film retrace les péripéties d’un convoi de cent quarante femmes qui, sous la férule quelque peu misogyne et brutale de Buck Wyatt (Robert Taylor), traverse les contrées sauvages et hostiles de l’Ouest pour convoler en justes noces avec des hommes formant une communauté de pionniers en cours d’installation à l’autre bout du pays. Les personnages vont évoluer au fil de l’histoire et Wyatt finira par concéder que ces femmes en ont autant dans la culotte que leurs homologues masculins. Chez un cinéaste considéré comme réactionnaire – et tout autant progressiste par le camp d’en face –, ce western singulier, tourné principalement en décors naturels dans l’Utah et la Vallée de la Mort, prend presque des allures de manifeste. S’inspirant d’événements réels, bien que le scénario soit largement fictif, le film jette un éclairage original sur une réalité bien peu montrée dans les westerns, celle des « mail-order brides » (épouses par correspondance), pratique consistant, dès le début du XIXe siècle, à faciliter des rencontres matrimoniales entre des colons partis s’installer dans des contrées isolées et peu peuplées et des femmes vivant sur la côte Est ou en Europe. On peut citer, malgré tout, des films comme Le Vent (The Wind, 1928), film muet de Victor Sjöström ou encore À l’Ouest du Montana (Mail Order Bride, 1964) de Burt Kennedy. Tout y est juste et sans pathos et ces femmes qui se révèlent de vraies dures-à-cuire mettent du cœur à l’ouvrage. La réalisation se démarque par un refus du spectaculaire gratuit. Les scènes d’action, bien que percutantes, sont filmées avec une sécheresse qui accentue leur réalisme. Wellman insiste sur la souffrance physique et psychologique des personnages, notamment lors des séquences où les femmes doivent apprendre à manier les armes ou enterrent leurs compagnes, et ne cherche ni à émouvoir, ni à exalter, ni à exhiber. Ainsi, la scène du viol est, sur ce plan, particulièrement révélatrice du style de Wellman qui éclipse la violence autant qu’il la suggère par ellipse. Nullement montré, le viol se solde par l’exécution expéditive du violeur. Au final, la scène reste suffisamment évocatrice pour s’imprimer durablement dans les mémoires.

Bertrand Tavernier dit de Wellman que c’est un cinéaste des conséquences, en ce qu’il ne s’encombre pas de l’action antérieure ; la simple présence de morts suggère qu’une bagarre violente vient d’avoir lieu et cette économie de moyens permet de densifier le film tout en s’épargnant de longs plans inutiles. La scène de l’accouchement dans la carriole qui perd une roue est un morceau d’anthologie : toutes les femmes accourent pour soutenir la pesante voiture et, à l’unisson de la parturiente, fournissent un effort surhumain jusqu’à l’heureuse délivrance. Comme l’observe encore Tavernier, les femmes sont filmées comme le sont les hommes habituellement dans le western, c’est-à-dire sans condescendance, ni mépris, ni sexisme. Et Denise Darcel y est magistrale et… si expressivement française ; de loin son meilleur film. À voir et à revoir !

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