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Conclave à risques ?

Le Pape François a créé vingt nouveaux cardinaux, en vue d’un probable conclave. Des nominations qui indiqueraient donc une certaine « ligne » à suivre dans le cas où cette élection particulière aurait lieu. Car si l’Église a pour horizon l’Éternité et n’est pas qu’une institution humaine, son fonctionnement n’échappe pas à certains aspects des sociétés profanes. Si l’élection est la volonté de Dieu, elle se fait par le biais de choix humains.

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Conclave à risques ?

En mai dernier, le Saint-Siège avait annoncé que le Pape François créerait vingt cardinaux le 27 août 2022. Aussitôt, les commentateurs ont analysé les nominations et pronostiqué la tournure d’un éventuel conclave. Car le consistoire d’août 2022 révèle une certaine constance dans la politique de François concernant les nominations cardinalices. Tout d’abord, dans la nomination de titulaires de sièges n’ayant jamais été honorés du chapeau rouge ou appartenant à des contrées jusque-là inconnues des promotions cardinalices. Ainsi, on ne sera pas étonné que la Mongolie, avec un jeune préfet apostolique de 48 ans, Singapour ou le Timor-Oriental entrent au Sacré Collège. Plus près de nous, en Italie, c’est l’archevêque de Côme qui reçoit les honneurs de la pourpre cardinalice alors que son archevêque métropolitain, Mgr Delpini, n’est pas cardinal. De même, Mgr McElroy, évêque de San Diego, a reçu le chapeau rouge, alors que son métropolitain, Mgr José Gomez, archevêque de Los Angeles ne l’a pas reçu… Le Pape François se tourne vers des sièges dont les évêques n’avaient jamais été nommés cardinaux. Mais l’internationalisation du Sacré Collège n’est pas une nouveauté dans l’histoire récente de l’Église. Ce souci apparait déjà sous Pie XII, qui fit entrer des cardinaux de ce qui allait devenir le tiers-monde. Cette politique fut poursuivie par Jean XXIII, puis par Paul VI et Jean-Paul II. Le Sacré Collège reste une assemblée romaine : s’ils ne sont pas Patriarches d’Églises orientales, les cardinaux sont systématiquement affiliés au clergé romain, notamment par leur rattachement à une paroisse quand ils sont cardinaux-prêtres. François n’a donc pas innové et a poursuivi sur ce plan un mouvement de long terme, avec cette tendance de vouloir faire du Sacré Collège une assemblée représentative de l’Église universelle, ce qui présente quelques dangers. En effet, si l’Église veut être gouvernée, elle doit quand même introduire un peu de prévisibilité dans son organisation. Le risque est d’avoir un conclave avec des cardinaux qui se connaissent trop peu, qui se rencontrent peu et surtout qui échangent peu – le cas est patent sous l’actuel pontificat. Avec comme résultat final de favoriser les initiés (les cardinaux de Curie qui connaissent les cardinaux du monde) ou les minorités agissantes (quelques cardinaux qui disposent d’un réseau ou d’une notoriété). Cela signifie qu’il ne faut pas complètement affaiblir la Curie romaine – même si elle a été « servie » en août dernier sous François avec la création de trois cardinaux –, et ne pas négliger les pays dits de vieille chrétienté, comme l’Italie. Car l’émiettement du Sacré Collège n’est pas forcément un service à rendre à l’Église, surtout dans des temps compliqués où elle tend à être happée par le monde ambiant. Autrement dit, il faudra réfléchir un jour aux limites de l’internationalisation du Sacré Collège et s’il ne vaut pas mieux faire prévaloir l’efficacité et la prévisibilité sur la représentativité, notion fort discutable au demeurant et en réalité difficilement atteignable. Autre tendance : celle qui consiste à dépasser le plafond des 120 cardinaux électeurs. Si le collège actuel comprend 130 électeurs, le seuil des 120 a déjà été dépassé à plusieurs reprises par Jean-Paul II (en 1998 et en 2001) et même par Benoît XVI (en 2010 et en 2012). Il n’y a donc pas d’empêchement pour un Sacré Collège assez large ; ce dépassement du seuil peut être vu comme une conséquence de cette internationalisation : pour représenter au mieux, il faut se résigner à gonfler l’effectif. Dernière tendance, mais plus récente cette fois-ci : la tenue quasi-annuelle des consistoires. Alors que Jean-Paul II créait des cardinaux tous les deux ou trois, voire quatre ans, ses deux successeurs ont accéléré la cadence consistoriale. Ce qui s’explique par des pontificats dont la durée est plus brève, même si celui de François n’est pas encore achevé. Depuis 2014, soit un an après son élection, ce dernier aura créé chaque année des cardinaux, sauf en 2021, en raison de la pandémie.

Différents types de conclaves possibles

Un conclave obéit à différents cas de figure. Il y a d’abord la perspective de la continuité. Parce qu’un pontificat a pu, même dans une période difficile, produire quelques fruits, le pontife attestant une certaine aisance dans le gouvernement de l’Église, les cardinaux peuvent ainsi désigner une personnalité dans la continuité du pontife précédent. On songera à l’élection de Pie XII en 1939, qui s’inscrit clairement dans la continuité du pontificat précédent de Pie XI (1922-1939). Mais on peut aussi citer comme exemple la succession de Jean XXIII par Paul VI, qui devait continuer le concile Vatican II jusqu’à son achèvement en décembre 1965. Il y a ensuite la perspective du rééquilibrage. Il peut d’abord s’agir pour les cardinaux de se défaire d’un style pontifical estimé peu adéquat au gouvernement de l’Église. On peut songer à l’élection de Jean XXIII en 1958. Il ne s’agissait pas de procéder à un « aggiornamento » mais plutôt d’éviter la perspective du pontife inaccessible, le style solitaire de Pie XII étant visé. La Curie romaine se plaignait en effet de ne pas pouvoir accéder au Pape de l’époque. Jean XXIII ne devait pas démentir dans la mesure où il sut faire travailler ensemble les cardinaux Ottaviani et Tardini. 

Mais il peut aussi y avoir un souci de rééquilibrage davantage porté sur le pontificat en général. L’histoire de l’Église ne manque pas d’exemples, comme pendant cette décennie méconnue des années 1550 : les contrastes entre Papes méritent que l’on s’y penche. En 1555, les cardinaux ne pouvaient plus supporter les trois dernières années du Pontificat de Jules III marquées par le népotisme et le comportement scandaleux de certains prélats. L’exaspération fut telle que les cardinaux élurent le Pape Marcel II soucieux d’une réforme de l’Église. Mais ce dernier n’eut qu’un bref pontificat, décédant 22 jours après son élection. Le rééquilibrage fut tel qu’il aboutit au Pontificat de Paul IV, successeur de Marcel II, mais figure surtout différente de celle de Jules III. Paul IV mena une politique sévère à Rome avec une Inquisition poursuivant non seulement les hérétiques, mais aussi ceux qui mangeaient de la viande aux jours d’abstinence. La réaction à cette politique aboutit à un Pontificat plus mesuré avec l’élection de Pie IV. On voit bien le jeu successif des rééquilibrages. On peut aussi analyser les contrastes entre les pontificats de Pie IX et de Léon XIII ou entre ceux de Léon XIII et de Pie X. Mais à l’instar d’Émile Poulat, il ne faut pas opposer les lignes de ces deux derniers papes : pour les deux pontifes, il s’agissait de restaurer une société chrétienne dans des pays où elle était en voie de liquidation. 

Sur les 130 cardinaux électeurs, 82 ont été nommés par François, soit 63 % de l’effectif pour le seul Pape argentin.

Plus près de nous, on peut songer au conclave de 2013 qui suscitera probablement à l’avenir beaucoup d’analyses et de décryptages. François a été élu sur fond d’un relatif discrédit du pontificat de Benoit XVI marqué par des scandales, comme l’affaire du majordome qui aurait dévoilé des secrets romains (les fameux « Vatileaks »). Les cardinaux ont-ils été sensibles aux polémiques du moment, sans comprendre les risques d’un pontificat atypique disruptif aussi bien sur le fond que sur la forme ? Plus généralement, il y avait certainement une volonté assez diffuse de trouver une voie ecclésiale différente de celles des papes Jean-Paul II et Benoît XVI, moins en réaction face à la modernité. Et surtout, il y avait cette idée – pas toujours très bien définie – d’élire un pape réformateur, venant non de l’Europe mais des périphéries, attaché à un style humble, sans que l’on sache vraiment si l’humilité vaut pour la personne ou pour la fonction. 

Enfin, il peut y avoir le souci du compromis. C’est le cas de Benoît XV élu en 1914 comme transaction entre deux lignes : celle de Pie X, défendue par le cardinal Merry del Val, et celle de Léon XIII, portée par le cardinal Gasparri. Benoît XV mit fin aux excès de l’antimodernisme (dissolution de la Sapinière, cet organisme officieux chargé de surveiller les prélats et clercs modernistes) mais ne renonça pas à combattre le modernisme en maintenant le serment imposé par saint Pie X et en appliquant différentes mesures disciplinaires. 

C’est également un cas de figure similaire que l’on retrouve dans l’élection de Jean-Paul II, compromis entre deux lignes ecclésiales : celle du cardinal Benelli, attachée au Concile, et celle du cardinal Siri, plus fidèle à la Tradition et hostiles aux excès postconciliaires. Le pape Wojtyla fut ainsi la ligne idéale pour ceux qui voulaient défendre Vatican II mais dans un moule plus classique et dans l’optique d’un Concile interprété « à la lumière de la Tradition », annonçant déjà « l’herméneutique de la continuité » de Benoît XVI. Ce souci aboutit au pontificat relativement restaurateur de Jean-Paul II, marqué par des redressements malgré une crise endémique. Bref, le prochain conclave est très incertain, même si l’on peut esquisser quelques axes de réflexion.

Un conclave imprévisible ?

Tout d’abord, le souci de façonner l’Église n’échappe à aucun pontife. C’est même un jeu assez humain. Sur ce plan, sur les 130 cardinaux électeurs (à la date du 22 septembre 2022), 82 ont été nommés par François et 48 par ses deux prédécesseurs, soit 63% de l’effectif pour le seul Pape argentin. Les cardinaux nommés par François et susceptibles d’élire un Pape sont donc majoritaires. Mais il existe encore un gros tiers de cardinaux nommés sous Jean-Paul II et Benoît XVI qui pourraient élire ou être élus papes, même si rien n’interdit l’élection d’un non cardinal. Comme nous l’avions écrit au début, il y a ce souci de rééquilibrage du pape François, face à la Curie, mais aussi par rapport à l’Italie et en en évitant des sièges traditionnellement cardinalices (Los Angeles, Tolède, Milan, etc.). Théoriquement, tout serait possible pour que le Pape ait un successeur dans sa ligne. Mais… Si l’on peut toujours agir sur le moment présent, cela devient plus compliqué à moyen et long terme. 

Tout d’abord, empiriquement, des piliers de l’actuel Pontificat ont été nommés sous les prédécesseurs de François ; inversement, il n’est pas dit que les nouveaux cardinaux créés par François sont tous « bergogliens ». Enfin, la politique des nominations donne toujours des résultats contrastés dans un terme plus long. Les cardinaux nommés par Pie XI et Pie XII avaient bien fait Vatican II et c’est un épiscopat largement nommé par le Pape Pacelli qui avait fait le Concile. Plus généralement, la « dynamique conciliaire » de Vatican II a été la conséquence de catholiques qui avaient été sevrés au catholicisme plus « conservateur » des Papes allant jusqu’à Pie XII. Ainsi, l’Action catholique, mouvement emblématique de rapprochement des catholiques avec le monde profane, n’a-t-elle pas été instituée avec ce souci : « nous referons chrétiens nos frères », à l’instar de ce chant explicite de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) ? Les catholiques qui ont fait Vatican II avaient été biberonnés par un catholicisme que l’on qualifierait d’intégral : rétablir une société chrétienne face à la modernité. Autant dire que le temps long de l’Église échappe aux choix des hommes et qu’il peut y avoir des surprises. 

 

Illustration : « Je voudrais demander à chacun de nous, à vous, chers frères Cardinaux […] : comment va ton émerveillement ? Te sens-tu parfois émerveillé ? Ou bien as-tu oublié ce que cela signifie ? » Homélie du pape François, messe avec les nouveaux cardinaux et le collège des cardinaux, basilique Saint-Pierre, mardi 30 août 2022.

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