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Chine : les religions au pas

« Cultiver la frugalité et s’abstenir de l’extravagance », telles sont les récentes promesses faites par les religions officielles à Xi Jinping. Par une méthode marxiste éprouvée, ce sont les groupes religieux officiels en Chine qui se rangent d’eux-mêmes aux consignes venues du chef suprême du Parti à Pékin. Hong Kong, quant à elle, voit s’éloigner encore un peu plus ses libertés. Avec, dans le viseur de Pékin, la religion catholique dont certains hérauts sont des symboles de la résistance comme le cardinal Zen.

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Chine : les religions au pas

Le 19 juin, à la sortie de la messe, les catholiques de Hong Kong ont découvert dans leur feuille paroissiale, le Sunday Examiner, publié en anglais et en chinois, les extraits d’un communiqué signé dix jours auparavant par les sept groupes religieux officiellement adoubés par Pékin. L’Association patriotique catholique chinoise (émanation du Parti communiste depuis 1957), la Conférence des évêques catholiques chinois, et cinq autres « Associations chinoises » – deux protestantes, une islamique, une bouddhiste et une taoïste. Présenté comme une initiative conjointe, le texte dénonce « une tendance malsaine à l’avidité et à l’extravagance » qui aurait terni l’image des religions et érodé « les fondements de l’héritage religieux ».

Le lendemain, un site internet évangélique, le China Christian Daily, basé sur le continent, détaille l’autocritique : l’ « extravagance », mais aussi « la collecte d’argent à travers la religion et le gaspillage dans les dépenses se sont répandus dans le domaine religieux, ont corrompu l’atmosphère religieuse, endommagé l’image sociale de la religion et fait obstacle à l’avancement de la Sinisation de la Chrétienté en Chine ». Partant de ce postulat martelé par Xi Jin Ping dans une conférence sur les affaires religieuses les 3 et 4 décembre – la première depuis 2016 –, les signataires poursuivent leur auto-flagellation : « Nous avons besoin d’utiliser profondément l’esprit de la Conférence Nationale des Affaires Religieuses et le grand discours du secrétaire général du Parti communiste chinois Xi Jinping » pour « infléchir et supprimer » efficacement la mauvaise atmosphère dans les religions ». Ils appellent à un examen de conscience et, pendant qu’on y est, à une « révolution morale » – pour se conformer à l’ordre public et aux bonnes manières de servir la société… et l’État.

Sous forme d’un ordre du jour en quatre points, les religieux cosignataires « défend(ent) premièrement les vertus traditionnelles » et « (s’) oppos(ent) aux pratiques malsaines… la frugalité est une vertu commune tandis que l’extravagance est un gros démon ». Deuxièmement, ils « défend(ent) la protection de l’environnement et l’esprit pratique, et s’oppos(ent) à l’ostentation ». Grâce à de nouvelles techniques de construction et de nouveaux matériaux « verts et zéro carbone », et en créant des « lieux verts pour l’activité religieuse ». Ils veulent renoncer à « l’utilisation de matériaux de construction rares et chers, à la recherche d’une décoration luxueuse qui excède les besoins pratiques, le développement économique local et le niveau de consommation des résidents ». Troisièmement, ils « défend(ent) l’autoculture et la moralité et s’oppos(ent) au gâchis ». Le personnel religieux doit « adopter un style de vie simple… un esprit d’autodiscipline », « s’opposer à la renommée et à la fortune, à la recherche du plaisir, et guider les croyants dans la pratique des vertus d’économie, avec un style de vie vert et zéro carbone ». Enfin, ils « défend(ent) la simplicité et la modération et s’oppos(ent) à la consommation excessive ». Les activités religieuses se doivent d’être « solennelles, simples et modérées, de garder la sainteté, le sérieux et la pureté et de refuser une émulation vers un niveau plus élevé ».

Une bouillabaisse chinoise agrémentée d’une sauce marxiste assez nauséabonde où tout est mélangé sans le sel de la terre. Celle concoctée par le nouveau Mao est « une théorie religieuse du socialisme avec des caractéristiques chinoises ». Étant entendu que les religions ne doivent pas « interférer dans la vie sociale »… « Il est nécessaire, a-t-il expliqué en décembre, de composer une équipe de cadres de gouvernement issus du parti qui soient compétents sur les approches marxistes de la religion, familiers avec le travail religieux, et doués pour travailler avec les croyants, afin de leur permettre d’étudier le savoir sur la religion, les vues marxistes sur la religion et de travailler sur les théories et politiques religieuses du Parti communiste chinois ». Le parti communiste impose aux associations religieuses des règlements beaucoup plus sévères depuis mars 2020 (voir Politique Magazine N°191).

À Hong Kong, les catholiques dans le viseur

Une partie du communiqué a retenu l’attention de l’hebdomadaire catholique de Hong Kong : « … maintenir les caractéristiques chinoises, dans les connotations des croyances et les formes culturelles des instituts religieux et de l’architecture ». La sinisation y est un sujet très sensible car elle signifie la suppression progressive de toutes les libertés dont jouissait la population du temps des Britanniques. Qu’est-ce que la sinisation ? L’expansion de la civilisation chinoise (dans les pays de civilisation moins évoluée) – dixit le Petit Robert. C’est l’avis de Xi Jinping pour lequel la sinisation serait en phase avec la politique d’inculturation du Vatican envers les religions chrétiennes et non chrétiennes.

Le 31 octobre, grande première officielle, le très communiste bureau de liaison entre Pékin et Hong Kong a réuni trois évêques et quinze responsables religieux envoyés par Pékin avec quinze de leurs homologues de Hong Kong pour leur expliquer le dogme des « caractéristiques chinoises ». Sous la télé-surveillance de la très communiste administration d’État pour les affaires religieuses. « (Nous) devons maintenir la direction essentielle du parti sur le travail religieux, nous devons poursuivre la marche du pays vers la sinisation de la religion, nous devons continuer à prendre le grand nombre de croyants et à les unifier autour du parti et du gouvernement », Xi dixit.

« Le changement arrive, vous feriez mieux de vous y préparer » : les avertissements du cardinal mexicain Javier Herrera-Corona, 54 ans, l’envoyé officieux du Vatican (depuis la rupture des relations diplomatiques entre le Vatican et la Chine en 1951), sont de mauvais augure. Prochainement remplacé, il a organisé quatre réunions successives pour alerter les missions catholiques sur place. Résumé par un des participants, son message est clair : Hong Kong n’est plus la grande tête de pont catholique qu’elle fut.

Les missions qui coopèrent étroitement avec le Vatican s’occupent de l’assistance aux pauvres et de l’éducation. Jusque-là, elles étaient protégées par la Basic Law, la constitution de Hong Kong, qui n’en finit plus d’être bafouée. Selon l’agence Reuters, sans attendre la nouvelle « loi de sécurité nationale » de 2020 qui permet d’embastiller n’importe quel opposant au prétexte de collusion avec l’étranger, trois missions auraient commencé à déménager discrètement des caisses d’archives outre-mer. Deux religieuses d’une mission auraient alors été arrêtées sur le continent, sans que l’on puisse précisément connaître les raisons de leur emprisonnement. Au total près d’une demi-tonne d’archives sur les activités de l’Église catholique en Chine et à Hong Kong aurait été envoyée à Rome. Remontant aux années 1980, elles portent sur les activités des missions, leurs relations avec l’Église souterraine et les persécutions de catholiques.

« Nous devons maintenir la direction essentielle du parti sur le travail religieux, nous devons poursuivre la marche du pays vers la sinisation de la religion, nous devons continuer à prendre le grand nombre de croyants et à les unifier autour du parti et du gouvernement. »

La cinquantaine d’ordres religieux et de sociétés missionnaires catholiques à Hong Kong abrite environ 600 prêtres, religieux et religieuses. Ils ont des archives, mais aussi des propriétés qui intéressent de très près les gens au pouvoir. Notamment des villas dans des quartiers prestigieux de la péninsule, des maisons de retraite et un hôpital. Des avoirs qui se compteraient en milliards de dollars HK, toujours selon les estimations de Reuters. Ils seraient en train de transférer leurs titres de propriété sur des personnes locales pour contrer une expropriation possible de leurs biens.

 

Les faits sont inquiétants. En point d’orgue, l’arrestation du nonagénaire cardinal Zen, archevêque émérite de Hong Kong, le 11 mai, relâché mais privé de son passeport et étroitement surveillé. Beaucoup de catholiques et de protestants notoires sont toujours en prison depuis les manifestations populaires de 2019. Les plus médiatiques encourent la prison à vie. À Paris, les Missions Etrangères ont publié cet été un numéro sur Hong Kong : « Une ville en mutation ». Sous la banalité du titre, la disparition de la liberté de la presse y est déplorée, et de la liberté tout court. À propos de la pandémie, on y découvre une bénédiction insolite du pape François, au mois de mars : « Je souhaite que vous soyez de bons citoyens et que vous restiez courageux face aux défis de notre époque ! » Le nouvel évêque a beau déclarer mettre son espoir dans la jeunesse, les premières cibles sont les écoles et les universités, suivies par les associations religieuses et caritatives, comme celles dont s’occupait le cardinal Zen qui attend son procès pour le mois de septembre.

En cette fin d’été, les regards se portent sur le renouvellement espéré par le pape de l’accord avec la Chine. Signé pour deux ans en 2018, puis à nouveau en 2020, il arrive à échéance en octobre. Le texte maintenu secret porte sur la nomination des évêques en Chine. « Cela va lentement mais (certains évêques) ont été nommés. Cela va lentement, comme je le dis, « à la chinoise », parce que les Chinois ont cette notion du temps que personne ne les bouscule… Mais l’accord est bon et j’espère qu’il pourra être renouvelé en octobre » a déclaré le pape le 4 juillet dans une interview à Reuters. Trois jours avant, Xi avait célébré le 25e anniversaire de la rétrocession de Hong Kong à la Chine. Il avait intronisé le nouveau chef du gouvernement, élu à plus de 99% des voix. Ce fidèle apparatchik, qui a passé 35 ans dans la police et deux ans à réprimer les manifestations, lui a promis « un gouvernement orienté vers le résultat ».

 

Illustration : Le cardinal Zen arrivant au tribunal où on l’accuse de “collusion avec les forces étrangères”.

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