Dans cet immense couloir dallé de blanc et de noir, marche en silence une longue colonne d’hommes en bure noire et en coule blanche ; pour le nouvel arrivant, ils se ressemblent tous, dans ce vêtement monacal, inclinés de la même manière, les mains cachées dans leurs amples manches. Ils se dirigent vers la chapelle, appelés ensemble apar la cloche qui rythme leur journée. Arrivés devant la porte ouverte à deux battants, ils entrent dans le chœur, s’agenouillent deux par deux, et emplissent les stalles de bois luisant. Chacun trouve devant soi les livres d’heures et les psautiers, qui guident leur prière. Après le bruissement des bures, le silence ; puis, une voix s’élève, un appel chanté ; et toute la communauté répond d’un seul élan, tous s’inclinent pour le Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto…
Ils vivent à l’entrée d’un petit village de Bourgogne, face à un immense paysage de prés et de bois, dans une grande et belle bâtisse du XVIIe siècle, qui était autrefois un château seigneurial ; ils ont construit dans son enceinte cette chapelle de lumière et d’ombre, où se tiennent sous la croix Joseph, leur patron, et Marie, leur mère.
Leur clôture est un grand jardin net, taillé, ratissé ; les allées de sable ou de gravier sont bordées de haies de charmes et ombragées de tilleuls ; leur fuites rectilignes attirent le regard vers les frondaisons proches et vers le ciel. Entre les offices, on aperçoit au loin les silhouettes de ceux qui travaillent au potager, ou de ceux qui méditent seuls, têtes encapuchonnées, avec leur grand chapelet qui oscille de leur pas.
À l’heure du repas, les hôtes attendent à leur place réservée, dans le grand réfectoire très clair, face au crucifix qui domine le siège du Père Abbé. Le silence fait place à un murmure qui grossit et devient une psalmodie : les moines approchent en procession et en priant à haute voix, sur une note ; ils passent devant nous et s’alignent debout, devant leur couvert. Après le Benedicite, le repas est rapidement servi par les moines de service, tandis que du haut d’une chaire, l’un d’eux procède à une lecture, passage de la règle de l’ordre, puis ouvrage historique, ou vie de saint ; cette lecture est faite recto tono, c’est-à-dire sans intonation, sur une note élevée.
Ces hommes de toutes origines et de tous milieux ont choisi de vivre ainsi à l’écart du monde, sous une même règle : ora et labora, prie et travaille. Sous la houlette de leur Père Abbé, qu’ils ont élu, leur existence est donc consacrée à la louange, à la supplication, à l’adoration, et au travail qui leur procure le pain, et qui est lui-même prière d’offrande.
Leur accueil est simple, attentif et chaleureux ; ceux qui les rencontrent pour la première fois, découvrent avec surprise leur connaissance intime de l’âme humaine, de ses misères et de sa grandeur : ces hommes de silence, ces reclus, savent tout, ou presque tout de nous, les égarés du monde ordinaire ; et leur bienveillance paternelle et sans faiblesse nous émerveille. Il est vrai que chaque semaine ils chantent tous ensemble les cent cinquante psaumes, le livre de prières de leur maître Jésus ; il est vrai que le soir, à complies, dans l’obscurité, debout et tournés vers leur Mère, ils lui chantent une hymne solennelle…
Le Seigneur entend ceux qui l‘appellent :
De toutes leurs angoisses il les délivre.
Il est proche du cœur brisé,
Il sauve l’esprit abattu.
Abbaye Saint Joseph de Clairval, à Flavigny sur Ozerain (Côte d’Or)