Civilisation
À la recherche du XVIIIe siècle
Le père de Berthe Morisot, préfet à Limoges, y créa un musée des Beaux-Arts. Une des premières œuvres données fut un ravissant portrait de Nattier.
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Hyacinthe Rigaud, né Jacinto Francisco Honorat Matias Rigau-Ros i Serra, vit le jour à Perpignan en 1659. La veille, Louis XIV, qui venait de passer ses vingt ans, était allé rendre visite à Fouquet à Vaux-le-Vicomte.
Jacinto était petit-fils de peintres-doreurs du Roussillon, fils de tailleur d’habits : une filiation transfigurée dans ses tableaux. Il arrivera à Paris en 1681 et Le Brun, sur la foi de ses œuvres, lui conseilla de se consacrer au portrait. On connaît la suite. Perpignan lui consacra un musée en 1959 – ou plutôt donna son nom à l’ancien musée des beaux-arts, où il est abondamment représenté.
Une exposition s’y tient en ce moment consacrée aux « Portraits des reines de France (1630-1660) ». C’est en quelque sorte un prélude à la grande exposition consacrée à Rigaud lui-même qui va ouvrir à Versailles, où l’on admirera le si fameux portrait de Louis XIV de 1701. À Perpignan, c’est Louis XIV enfant qu’on peut contempler, peint en 1648 par Henri Testellin : il est assis, avançant la jambe en dehors de l’immense manteau royal fleurdelisé qu’il ne remplit pas encore mais dans lequel il a l’air à son aise et même à son affaire ; il regarde gravement le peintre, et tous ses sujets derrière lui, méditant des rêves de gloire qu’il est encore trop tôt de découvrir. On avait déjà pu le voir juste avant, debout à côté de sa mère portant une cape fleurdelisée, lui vêtu d’une robe dorée, une petite couronne posée sur un coffre derrière lui : le tableau est une copie d’un original de 1642 de Charles et Henri Beaubrun qui se spécialisèrent dans les portraits de reines de France.
Henri fut d’abord porte-arquebuse de Louis XIII : « Sa Majesté […] ayant remarqué qu’il avait une grande disposition au dessin, voulût qu’il s’y attachât et qu’en apprenant à peindre, il apprît aussi ce qui est essentiel à la peinture comme la perspective, l’architecture et les quelques principes de géométrie… » Il peignit avec son cousin le premier portrait connu de Louis XIV, Louis XIV et sa nourrice, dame Longuet de La Giraudière (1638). Henri mourut en 1677, Hyacinthe venait d’avoir 18 ans. Dans tous ces portraits, nourrisson enfant ou roi-soleil, Louis XIV arbore l’ordre du Saint-Esprit (ce me semble).
En 1640, les cousins Beaubrun avaient réalisé un portrait d’Anne d’Autriche, princesse espagnole qui traversa le Roussillon, et peut-être Perpignan, pour aller épouser Louis XIII, juste avant que la province ne devienne française. La reine, dans une robe fleurdelisée qui rappelle le manteau du sacre, dont elle porte une version doublée d’hermine, comme il, se doit, discrètement mise en scène, a un air bonhomme et doux, assise sur sa chaise et attendant sagement que la séance de pose soit finie. C’est un portrait qui dit un pouvoir sans triomphe, et peut-être une royauté sans éclat, malgré les bijoux imposants arborés sur la robe. Les Beaubrun représentèrent aussi Marie-Thérèse d’Autriche, en 1660. Le Roussillon venait de devenir français. Elle venait d’épouser Louis XIV. Ses cheveux en accroche-cœurs encadrent un visage ovale et rebondi, au-dessus d’un cou ceint d’un collier aux énormes perles, comme celui d’Anne d’Autriche. Sa robe est barrée d’un flot de perles et de pierres, colliers portés en écharpe, et elle tient délicatement le manteau fleurdelisé. C’est ainsi, les reines de France participent à la royauté. Une couronne fermée, portée comme un bibi, vient le confirmer. Quelques années plus tard, dans une robe noir et rouge, tenant par la main le tout jeune Dauphin, empanaché comme elle de plumes rouges, encore peinte par les Beaubrun, elle symbolisera un pouvoir sur le point de muter, de basculer dans ce moment si spécial, que saisira Rigaud, où le naturel prend un peu le pas sur l’apparat, sans doute parce que l’assurance et la gloire sont pour quelques années attachées à la France et à ses serviteurs, pourvu d’une aisance confondante dans l’affirmation de leur personne.
L’exposition se termine par un portrait de Marie-Antoinette par Mme Vigée-Lebrun (1788) : elle n’arbore aucun signe royal et sa couronne est posée sur un coussin fleurdelisé, au-delà d’un bouquet qui la tient à l’écart. Tout hiératisme a disparu, mais toute magnificence aussi. Les portraits des reines en veuvage nous avaient déjà préparés à cette mélancolie souriante.
Illustration : Anonyme d’après Henri et Charles Beaubrun. Portrait d’Anne d’Autriche, du dauphin Louis Dieudonné, futur Louis XIV, et de Philippe, duc d’Anjou, vers 1642. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Photo © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot.