Matthieu Poupart, diplômé en philosophie et théologie, ayant collaboré à la CIASE et co-fondateur du collectif « Agir pour notre Église », offre, aux éditions du Seuil, un livre assez bref, intitulé Le Silence de l’Agneau.
C’est à dessein que le titre évoque un film désormais mythique où un psychopathe, doublé d’un cannibale, se délecte narcissiquement et de sa cruauté et du sort qu’il inflige à ses victimes. Hannibal Lecter, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est ainsi promu, à la faveur du titre, archétype de l’abuseur sexuel et, passez-moi d’expression, du bouffeur de chair fraîche qui s’attable sans aucune espèce de commisération pour les personnes qui constituent son festin pervers, à la table, nous le verrons bientôt, de la morale catholique.
Le titre donne à voir également la figure de l’Agneau qui dans le christianisme est d’abord le Christ s’offrant comme victime expiatoire et, à sa suite, toutes les victimes qui s’offrent comme lui, équiparées dans ce cas aux victimes d’abus sexuels. Or, étrangement, si l’on comprend le silence des dernières, on a du mal à entendre le mutisme du Premier.
Enfin, toujours en ce qui regarde le titre, il se double d’un sous-titre en forme d’interrogation purement rhétorique : « La morale catholique favorise-t-telle la violence sexuelle ? » Comme souvent, dans ce cas d’espèce, poser la question c’est y répondre et y répondre par l’affirmative ; bien évidemment que la morale catholique favorise cette violence et le silence des victimes pour que les ogres puissent en toute quiétude faire bombance.
C’est ce pli systémique qui serait amidonné à la morale catholique que Matthieu Poupart tente de montrer dans son opuscule. Matthieu Poupart répète de nombreuses fois qu’il est un catholique plutôt classique, voire traditionnel. Ce refrain est étrange. Pourquoi prendre la peine de signaler cette sensibilité à plusieurs reprises ? On comprend que, normalement, un « catholique classique » ne s’engagerait pas dans la dénonciation de la théologie et de la morale. Or s’il le fait, c’est qu’il est ouvert d’esprit et que les conclusions de sa recherche sont fondées et vraies, puisqu’elles vont, en quelque sorte, contre sa sensibilité première.
L’ouvrage n’est pas une démonstration systématique de la thèse promue mais se présente comme une réflexion sur la base de confidences de victimes d’abuseurs sacerdotaux ou ayant une responsabilité dans la pastorale. Les témoignages émaillant les chapitres du livre ont l’avantage d’ancrer le propos dans des faits concrets, de lui donner chair et de le justifier aussi. En effet, Le Silence de l’Agneau n’est pas un exposé très construit de la thèse avancée. Il faudrait pour cela, plus que la centaine de pages proposées, une recherche systématique des sources théologiques et, sans doute, un engagement affectif plus tempéré. L’aspect affectif du livre est cependant compréhensible : il semble aujourd’hui parfaitement impossible d’aborder ce sujet sans une forte dose d’émotion. Et qui ne serait pas affecté par le malheur des victimes ou soulevé d’une juste révolte devant des bourreaux parfois sans scrupules et qui sont aux antipodes du rôle ecclésial qu’ils ont ? Seulement voilà, une émotion, si juste soit elle, ne constitue pas un argument de raison et encore moins une preuve dans la démonstration. Les témoignages, essentiellement féminins – quand bien même les victimes d’abus sexuels de la part de prêtres, sont en majorité masculines – s’inscrivent ainsi, par ce choix, dans la vague #MeToo ou #balancetonporc. La vague de dénonciation d’abus semble unique mais les faits, eux, sont différents. La dénonciation systématique et mimétique ignore la distinction et met tout dans le même panier, panier tissé par la théologie morale, voire la dogmatique, depuis des décennies voire des siècles. Poupart signale donc quelques-uns de ses matériaux. Un des plus grands défauts du livre est de ne pas assez rendre au contexte culturel ce qui appartient au contexte culturel et de prendre un peu tout pour argent comptant. Si selon l’auteur, « le prisme de la culture religieuse influence la société », l’inverse est tout aussi vrai : la culture de telle société influence les propositions théologiques. Celles-ci ne tombent pas toutes cuites du ciel et les hommes qui les pensent et les élaborent sont des hommes de telle époque et de telle zone géographique. Tout donc n’est pas égal en matière de formulations théologiques. Cela dit, on ne peut nier que certaines ont été ou sont encore malheureuses, que d’autres sous-tendent un imaginaire qui aurait besoin d’être évangélisé et que d’autres enfin peuvent avoir, effectivement, un effet pervers chez certains. Cependant, de là à prétendre que le discours théologique, celui essentiellement de la morale et de la pastorale, est le lit dans lequel se coule la justification de l’abus et le silence presque sacré imposé aux victimes et à l’Église, est un pas que l’on ne doit pas franchir, il me semble, sans une démonstration charpentée, exhaustive, et argumentée. Toute chose que le livre de Matthieu Poupart n’est pas.
Matthieu Poupart, Le Silence de l’Agneau. La morale catholique favorise-t-elle la violence sexuelle ? Seuil, 2024, 176 p., 19 €
