Société. Théorie du genre, antispécisme, euthanasie : l’homme est devenu le principal ennemi de l’homme. Mais le rejet de l’humanisme par la nouvelle anthropologie n’est que la conséquence de la négation de Dieu.
Voici un essai salutaire pour l’esprit. Dans un livre dont le titre – La Philosophie devenue folle – évoque une formule célèbre de Chesterton, le philosophe Jean-François Braunstein traite de trois idéologies mûries outre-Atlantique et en voie d’expansion rapide en Europe, comme le montrent le succès du véganisme ou l’invasion despotique des revendications homosexuelles dans les médias et les discours des politiques.
Ainsi, l’idéologie du genre, dont la « papesse » est l’Américaine Judith Butler, professe que l’appartenance aux genres féminin ou masculin ne procède pas du sexe et de la biologie, mais d’une transmission culturelle : la petite fille ou le petit garçon ne deviendraient tels que parce que leurs parents leur ont dit qu’ils le sont. L’antispécisme, dont l’Américaine Donna Haraway est la principale prophétesse, enseigne qu’il n’existe pas de différence ontologique entre l’homme et l’animal. L’une des conséquences de cette confusion est la légitimation de la zoophilie, pratiquée par Haraway elle-même, qui entretient des relations sexuelles avec sa chienne pour faire tomber les barrières entre les espèces. Enfin, la promotion de l’euthanasie, dont le philosophe utilitariste australien Peter Singer, professeur à l’université de Princeton, est le grand théoricien, conduit à l’eugénisme, à l’élimination des enfants et adultes handicapés, séniles ou improductifs, et, in fine, à leur utilisation comme matériaux de laboratoire ou comme banques d’organes au profit de vivants « plus prometteurs ».
Un nouveau masque de l’antique hérésie gnostique
Braunstein, ayant pris la peine de lire et d’analyser les travaux de ces grands pontes du nouvel anthropologiquement correct, souligne que ces questions, « qui se posent lorsque sont changées radicalement les définitions du sexe et du corps, lorsqu’est effacée la frontière entre homme et animal, lorsqu’on admet que toutes les vies n’ont pas la même valeur », sont « des thèmes ultra-classiques de la réflexion “morale” anglo-saxonne contemporaine. Il faut savoir que les réponses qui y sont apportées par les universitaires américains les plus réputés sont en général les plus absurdes et les plus choquantes que l’on puisse imaginer. »
Les plus sottes, aussi. Ainsi l’antispécisme affirme-t-il que la vie de ce qu’il appelle les « animaux humains » n’a pas plus de prix que celle des « animaux non-humains » : aux yeux de Singer, par exemple, mieux vaut utiliser un handicapé mental qu’un chien bien portant pour réaliser des expérimentations scientifiques ou médicales – opinion que partage avec lui le fondateur de la bioéthique, Hugo Tristram Engelhardt. A fortiori, la consommation de viande est considérée comme criminelle. Toutefois, comme le remarque Paul Sugy¹, l’homme n’est pas le seul carnivore : les lions, par exemple, croquent des gazelles. Pourquoi le « droit » de manger d’autres animaux serait-il autorisé au lion et interdit à l’homme ? David Olivier, ingénieur informatique à l’université Lyon 2 et rédacteur aux Cahiers antispécistes, répond : « Le lion doit recevoir des antibiotiques si c’est ce dont il a besoin pour survivre. Mais le droit à la vie d’un lion lui permet-il d’exiger d’une gazelle qu’elle lui cède ses organes – de fait, son corps entier ? Je ne vois pas comment cela pourrait se justifier. » Faut-il en conclure que les lions sont des assassins comme les hommes ? Salutaires assassins alors, qui, en assumant leur rôle dans la chaîne alimentaire, empêchent la prolifération des gazelles qui provoquerait à terme leur disparition !
Aktion 4, quand les nazis éliminaient les handicapés.
Le refus de prendre en compte les réalités, au bénéfice de l’utopie, est une constante de ces théories. Le corps humain figure au premier rang de ces réalités reniées : à cet égard, comme le remarque Braunstein, les théories de Butler ou d’Haraway renouent avec l’antique hérésie gnostique. Cette hérésie n’est d’ailleurs pas moins présente dans les procédés de fabrication artificielle de l’humain (tri génétique grâce à la procréation médicalement assistée, recours aux mères porteuses et, à terme, fabrication des humains dans des utérus artificiels), les cyborgs et le transhumanisme.
En outre, Jean-François Braunstein montre que ces idéologies ont en commun une « volonté déterminée d’effacer, au sens strict, toutes les frontières. Celle, fondamentale, de la dualité des sexes. Celle, traditionnelle, qui sépare l’homme de l’animal. Celle, sacrée, qui pour les humains trace la ligne entre vivant et mort. » Cette constatation rejoint celle que nous faisions, avec Guillaume de Prémare, dans Résistance au meilleur des mondes². Les frontières et les limites sont parties intégrantes de l’identité. En les détruisant, on détruit les repères sociaux traditionnels et, au-delà, les communautés – de la famille à la nation – au sein desquelles la personne humaine se réalise. En revanche, l’alliance de ces idéologies transgressives et des nouvelles technologies est au service d’un nouveau paradigme matérialiste aux dimensions mondiales, qui s’appuie en outre sur une conception positiviste du droit excluant toute référence au droit naturel.
La réponse dans la Genèse et les Évangiles
Enfin, comme le remarque le professeur Claude Rochet³, ces courants de pensée s’opposent à l’humanisme, défini comme « l’attitude d’esprit qui extrait l’homme du reste de l’univers, lui conférant par ce geste sa dignité, c’est-à-dire, au sens propre, son rang. » Claude Rochet souligne ainsi la révolution anthropologique qu’ils introduisent. Toutefois, l’anthropologie propre à notre civilisation n’est pas fondée sur l’humanisme, mais sur la Genèse et les Évangiles – et les principaux théoriciens du genre, de l’antispécisme et de l’euthanasie en sont conscients. Il est d’ailleurs remarquable que, depuis la nuit des temps et bien avant les révélations juive et chrétienne, la religiosité ait été une qualité propre de l’humanité.
La Genèse établit la complémentarité de l’homme et de la femme, à l’encontre de l’idéologie du genre, et condamne le meurtre de l’homme par son frère (Caïn et Abel), ce qui s’étend aujourd’hui à toutes les atteintes contre la vie humaine, de l’avortement à l’euthanasie. Enfin, à l’inverse de l’antispécisme, elle proclame la dignité unique de l’homme fait à l’image de Dieu, dignité rendue plus grande encore par l’Incarnation du Christ, Verbe de Dieu : en s’abaissant jusqu’à prendre chair de l’homme, le Dieu créateur élève jusqu’à Lui sa créature humaine. Bien au-dessus de n’importe quel animal.
Par Eric Letty
- « Derrière le militantisme végan, la puissante idéologie antispéciste », in le Figarovox, 1er novembre 2018.
- Paru en 2015 aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.
- Genre, végétarianisme, euthanasie : les nouveaux visages du nihilisme, blog https ://claude-rochet.fr, 28 septembre 2018.
- Jean-François Braunstein, La philosophie devenue folle – le genre, les animaux, la mort. Grasset, 2018, 400 pages, 20,90€