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Argentine : le salutaire rejet de la légalisation de l’avortement

Le 9 août dernier, le Sénat argentin a rejeté le projet de loi de légalisation de l’avortement, par 38 voix contre 31 et 2 abstentions

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Argentine : le salutaire rejet de la légalisation de l’avortement

On se demande d’ailleurs comment on peut justifier l’abstention au sujet d’une question d’éthique aussi importante, comment un député, un législateur donc, peut déclarer qu’il n’a pas d’opinion tranchée sur la question de la vie, du droit ou du devoir de la femme ou du droit de l’enfant à naître, de la nature de la liberté (individualiste ou conjuguée avec le respect de valeurs sacrées), et qu’en conséquence, il ne se prononce pas lors d’un vote dont l’issue est la reconnaissance d’un véritable choix de société, voire de civilisation. Il est vrai que des précédents analogues existent : ainsi, le 25 juillet 1943, à Rome, un des membres du Grand Conseil fasciste, Giacomo Suardo, osa s’abstenir lors du vote de cette institution devant décider de la poursuite des hostilités au côté de l’Allemagne ou de la capitulation devant les Alliés, alors que l’Italie était bombardée et en partie occupée.

Le rôle de rempart moral de l’Eglise argentine

L’avortement demeure donc illégal en Argentine, bien que, le 14 juin dernier, les députés aient voté un texte de loi l’autorisant__ par une très courte majorité : 129 voix contre 125. Ainsi, contrairement au vœu de la gauche radicale et laïque argentine, actuellement au pouvoir, l’Argentine ne deviendra pas le troisième pays latino-américain à légaliser l’avortement après Cuba (en 1965) et l’Uruguay (en 2012). On ne peut que s’en réjouir. L’Argentine reste un pays très attaché à la religion catholique. A tel point que, même un parti en principe laïque, comme l’Union civique radicale, un des deux grands partis de gouvernement, avec le parti jusitcialiste (péroniste), se garde de remettre en question ses avantages et de heurter ses principes éthiques. L’Église et les ecclésiastiques sont ainsi exonérés de l’impôt sur le revenu, de la TVA, de droits de douane, et ne sont soumis à aucun contrôle administratif, gestionnaire ou comptable de l’État. Et l’actuel président de la Nation argentine, Mauricio Macri, quoique radical, se déclare, à titre personnel, contre l’avortement, même s’il ne s’oppose pas au vote d’une loi le libéralisant  ; quant à sa prédécesseur, Christina Kirchner, péroniste, elle avait refusé de soumettre un tel projet de loi au Parlement. L’Église exerce une très grande influence sur la population, notamment grâce à ses nombreux établissements scolaires, ses universités, florissantes, et la haute qualité intellectuelle de ses membres, notamment de ses théologiens et philosophes. Son rôle politique a été considérable. D’une manière générale, elle a œuvré à faire prévaloir une conception holiste de la société et une vision thomiste de l’homme et de la cité. Très en phase avec des régimes catholiques tels que celui de Rosas (1829-1852), du général Onganía (1966-1970), du général Videla (1976-1981), elle s’est opposée à celui, démagogique et anticlérical, de Perón (1946-1955). Et, à l’exemple de ses théologiens, dont Julío Meinvielle et Jordán Genta, elle s’est située dans une ligne nationale catholique qui l’a amenée à combattre résolument le socialisme, le libéralisme et la tentation démocrate-chrétienne ou progressiste de certains ecclésiastiques.

L’intervention courageuse du pape

C’est dans cette ambiance qu’a grandi Jorge Mario Bergoglio, l’actuel « pape François », de surcroît ancien provincial des Jésuites. Et, en l’occurrence, le pape a manifesté la même combativité qu’elle, en d’autres circonstances historiques. Il a donc pris une position sans équivoque, au nom de la vie, n’hésitant pas à dénoncer la « culture du déchet » (ce dernier étant le fœtus dont on se débarrasse comme d’un rebut) qui caractérise la libéralisation de l’avortement, et à comparer cette élimination des humains à naître aux pratiques eugénistes des nazis. « Aujourd’hui, nous faisons la même chose, mais avec des gants blancs », a-t-il déclaré sans balancer. « L’Eglise est pour la vie, qu’elle soit faible ou sans défense, ou même non développée ou peu avancée », a-t-il fermement rappelé le 28 mai dernier.

Le respect de la vie : un fondement de notre civilisation

On n’est sans doute pas tenu de partager, sur la question de l’avortement, le point de vue de l’Eglise catholique. Mais on est obligé d’admettre que le respect de la vie est un des fondements de la civilisation, et que celle-ci risque de se perdre en évoluant vers la barbarie lorsqu’elle en méconnaît le principe. Or, le fœtus, s’il n’est pas un homme ou une femme constitué(e), n’est pas moins un être humain vivant qu’il convient de respecter comme tel. Et ce n’est pas parce qu’il est celé dans le corps de sa mère qu’il doit être tué au nom de la liberté de celle-ci à disposer comme elle l’entend de celui-là. On dit que cette liberté ressortit de la dignité de la femme (et, au-delà de tout être humain libre et donc maître exclusif de son corps). Mais une femme attente à sa dignité en tuant, par individualisme ou commodité, un être humain qui a vocation à vivre, et la société fait de même en le lui permettant. D’absolu, le principe du respect de la vie devient conditionnel, et ce changement de statut porte en germes les possibles dérives euthanasiques et eugéniques que l’on peut redouter.

En aucun cas, le « droit à l’avortement » ne saurait être placé au même plan que le droit aux soins médicaux, à la retraite ou aux congés payés. Et la liberté, constitutive de la dignité de l’homme, ne saurait aller jusqu’à la liberté de tuer délibérément un être humain pour la convenance personnelle d’un autre.

En tout cas, on peut tirer de ce rejet de la libéralisation de l’avortement une grande leçon : l’Église et la morale gagnent lorsqu’elles ont le courage de refuser une complaisance excessive vis-à-vis du relâchement des mœurs et de l’abandon des valeurs fondatrices de la civilisation.

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