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DES ROIS EN LEURS PALAIS

Quand Paris pouvait rêver d’être royale.

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DES ROIS EN LEURS PALAIS

Désireux d’affirmer la grandeur de Paris, centre du pouvoir et capitale d’un royaume qu’ils n’ont de cesse d’agrandir, Capétiens, puis Valois et Bourbons cherchent à élever un palais reflétant leur puissance mais aussi doté d’agréments.

S’il se dote, au cœur de Paris, d’un château fort bien remparé, le premier Louvre, complétant le système de défense de la ville, Philippe Auguste, en ces années 1180, aimerait aussi posséder, au bon air, un manoir campagnard. Le domaine royal compte justement aux portes de la capitale, sur la route de Meaux et proche de la Marne, une forêt, résidu de l’immense massif forestier qui couvrait jadis la région, appelée Vincennes. L’endroit, très agréable, giboyeux, se prêterait à la construction d’une maison forte qui, tout en assurant la sécurité du roi et de ses proches, leur permettrait d’échapper aux désagréments de la grande ville. Effectivement, rachetant les terrains alentours afin de clôturer le bois, devenu réserve de chasse, les souverains successifs vont travailler à la création d’une maison d’agrément où ils aimeront passer les beaux jours. C’est sous les chênes de cette forêt que saint Louis se plaira à rendre publiquement la justice. C’est là qu’en 1239, il accueillera d’abord les reliques de la Passion, réservant une épine de la sainte couronne au sanctuaire dont il dote le manoir et qui sera, comme le reliquaire parisien, baptisée Sainte Chapelle.

Vincennes, château et ville

Très apprécié de la famille royale – il suffit pour s’en convaincre de voir combien de chartes y furent signées, combien de princes y naquirent ou y moururent –, Vincennes change de visage au XIVe siècle lorsque les premiers Valois, en des temps de troubles, transforment le manoir en puissant donjon entouré d’une ceinture de tours colossales, l’ensemble étant jugé imprenable. Même si le but est, en ces commencements de la Guerre de Cent ans, d’assurer la sécurité du roi, cela n’interdit pas de faire de cette place forte un palais de prestige pour l’embellissement et la décoration duquel rien ne sera trop beau.

Peu à peu, un village, puis une ville, que Paris finira par absorber sans lui retirer son statut administratif ni son originalité, sortent d’un bois qui, au fil du temps, perdant son caractère sauvage, deviendra un parc réservé à la promenade des Parisiens.

Thierry Sarmant signe, avec Vincennes, mille ans d’histoire (Tallandier), bien plus qu’une monographie d’une commune, fût-elle prestigieuse, de la banlieue parisienne. En effet, Vincennes, très vite, devient partie prenante, acteur de la politique royale. Tantôt destiné à frapper d’admiration ambassadeurs et souverains étrangers qui y sont conviés, tantôt, lorsque le donjon se transforme en prison d’État, à rappeler que l’on ne s’oppose pas à la volonté royale, Vincennes se révèle symbole ambivalent.

Au XVIIe siècle, le manoir médiéval est abandonné au profit d’un château dont Colbert songe à faire la demeure de Louis XIV, puisque celui-ci a pris Paris en détestation au lendemain de la Fronde. Il s’en fallut de peu, juste le bon plaisir du roi, que ce projet, plus économique et facile à réaliser que le chantier de Versailles, se concrétisât, ce qui eût changé le cours de l’histoire. Colbert perdra la partie, et Vincennes, même si Louis XV, à la mort de son aïeul, y séjournera brièvement, perd son statut de résidence royale. Tandis que les prisonniers politiques ou de guerre s’y succèdent, l’on cherche à rentabiliser les bâtiments déserts : la manufacture de porcelaine, ensuite transférée à Sèvres, puis l’École militaire, qui n’y restera pas non plus, une fabrique de fusils se succèderont, sans qu’aucune de ces tentatives soit concluante. Il faut attendre l’Empire, tandis que l’on arase les vieilles tours médiévales, n’épargnant que le donjon, pourtant primitivement condamné, pour arriver à une solution pérenne : faire de Vincennes une caserne, et du bourg une ville de garnison. Dans l’intervalle, la forteresse aura été le cadre de l’assassinat du duc d’Enghien, le 21 mars 1804, crime qui, en mettant sur les mains de Bonaparte le sang d’un Bourbon, donne des gages aux régicides et lui permet de ceindre la couronne impériale.

Thierry Sarmant connaît tout d’un château où, conservateur en chef du patrimoine, il travaille depuis des années. Le suivre dans cette promenade historique riche en anecdotes aussi bien qu’en synthèses brillantes est un régal. Voilà un livre destiné à faire longtemps autorité sur le sujet.

Le palais des Tuileries tel qu’il était avant Louis XIV. Vue prise de la rue qui le séparait du jardin.

Les Tuileries, palais et jardin

Depuis que son époux, Henri II, mortellement blessé au cours d’un tournoi donné en ses lices, y a rendu l’âme, Catherine de Médicis a pris en horreur l’hôtel Saint-Pol et transporté la cour au Louvre. Cependant, la Florentine n’aime pas ce palais médiéval inconfortable. Elle voudrait, afin de pouvoir parfois s’y retirer loin des affaires, posséder sa propre résidence, à la fois proche et indépendante.

À quelques toises à peine, mais hors les murs de la capitale, sur un terrain argileux en bord de Seine exploité depuis l’Antiquité pour fabriquer des tuiles, s’élève le faubourg des Tuileries, entrelacs de jardins maraîchers, de couvents, d’hospices, d’abattoirs et d’hôtels particuliers. C’est là que Catherine décide de se faire construire une demeure splendide, digne des fastes de son Italie natale.

Juliette Glikman, dans un remarquable essai, de surcroît abondamment illustré, La belle histoire des Tuileries (Flammarion), réfute la noire mais populaire légende parisienne selon laquelle la reine, se heurtant au mauvais vouloir d’un boucher du quartier, Jean l’Écorcheur, qui refusait de se laisser exproprier, l’aurait fait assassiner, et attiré sur le palais la malédiction de sa victime… En fait, il faut attendre le début du XIXe siècle, et les sombres remords qui obsèdent les nouveaux maîtres du château aussi bien que les Parisiens pour que se répande la rumeur selon laquelle le boucher, sous les traits d’un petit homme rouge, hanterait les appartements princiers les veilles de catastrophes, annonçant le malheur à ceux qui le croisent… Le fait est que des fantômes s’attachent depuis le début à cet endroit que la régente et ses continuateurs avaient voulu paradisiaque. C’est dans ses murs, parmi les merveilles de Philibert Delorme et des plus grands artistes du temps, que le massacre de la Saint-Barthélemy se serait préparé. Mensonge, là encore, mais on ne sait quelle malédiction sanglante semble vraiment poursuivre les hôtes de ces lieux.

Dans son essai, Les Tuileries, château des rois, palais des révolutions (Tallandier), Antoine Boulant souligne l’ambivalence de cette demeure. Si architectes et artistes s’y succèdent, il semble impossible de jamais venir à bout d’un chantier en perpétuel recommencement, chaque époque détruisant les plans de la précédente. Seul le jardin, quoique sa première version, jugée pure merveille, ait été détruite lors du siège de Paris par Henri IV, traversera, tel qu’André Le Nôtre le dessina en 1665, presque intacte, les siècles. Les rois qui ne résident plus au palais, ou fort peu, ont toujours souhaité que ce parc soit ouvert aux Parisiens. Mme Glikman, qui s’est plongée, entre autres, car elle livre un travail colossal, dans les procès-verbaux de police, donne un éclairage cru sur les mœurs du Paris des Lumières. Ceux qui croiraient que vandalisme, délinquance, prostitution des deux sexes, attentats à la pudeur, pédophilie sont fruit de la modernité, seront stupéfaits de croiser dans les allées du jardin des vilains messieurs qui attirent les enfants avec des bonbons et des ivrognes qui jettent des bouteilles vides sur la tête des malheureuses feuillantines dont le parc jouxte les terrasses.

Petits faits sans importance ? Non. Car cette peu reluisante photographie du Paris prérévolutionnaire dévoile un peuple en proie à d’inquiétantes pulsions. C’est ce même peuple qui insultera Louis XVI et les siens, égorgera les Suisses avant de les mettre à griller, le 10 août 1792, dans un barbecue anthropophagique, et s’esbaudira, place du Carrousel, des essais d’une guillotine jugée trop rapide pour le plaisir des spectateurs …

Toute ressemblance entre nos mœurs et celles d’hier n’aurait rien de fortuit. Mais qui songe à s’en inquiéter ?

 

Vincennes, mille ans d’histoire, Thierry Sarmant, Tallandier, 400 p, 22,50 €.
La belle histoire des Tuileries, Juliette Glikman, Flammarion, 345 p, 26 €.
Les Tuileries, château des rois, palais des révolutions, Tallandier, 340 p, 21,90 €

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