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HENRIETTE CAMPAN, OU LES AFFRES DE LA « SERVITUDE »

Les Mémoires, pour intéressants qu’ils soient, sont toujours quelque peu suspects.

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HENRIETTE CAMPAN, OU LES AFFRES DE LA « SERVITUDE »

JEANNE LOUISE HENRIETTE CAMPAN French educator Date: 1752 - 1822

Lectrice de Mesdames, filles de Louis XV, puis première femme de chambre de Marie-Antoinette, Henriette Campan, échappée à la Terreur, se consacra pour vivre à l’éducation. Ses liens avec la future impératrice Joséphine firent d’elle une personnalité du nouveau régime. Geneviève Haroche-Bouzinac propose une biographie fouillée d’une femme finalement mal connue.

Henriette Genet naît à Paris en 1752, dans le milieu puissant et influent que représente le personnel de la Cour. L’on y côtoie le Roi, s’y mêle à la noblesse, acquiert appuis, relations, savoirs propres à rendre indispensable, à l’instar de son père, chef du bureau des interprètes auprès du ministre des Affaires étrangères.

Henriette, à seize ans, déjà réputée pour ses talents d’agrément et sa culture, devient lectrice de Mesdames Sophie, Louise, Adélaïde et Victoire. Sous l’Empire, elle soupirera amèrement sur son sort, se plaindra d’avoir dû « servir », c’est-à-dire accepter un travail de domestique, honte que sa famille touchant à la petite noblesse n’avait jamais connue.

Geneviève Haroche-Bouzinac souligne cette gêne, mais perd de vue combien cette charge, qui ne comprenait aucune tâche domestique, était convoitée … Outre les appointements, augmentés par divers arrangements qui permettaient de les doubler ou plus, vivre dans la familiarité de la famille royale comportait de nombreux avantages, à commencer par une protection qui se faisait sentir au moment de s’établir et assurait, outre une dot, des alliances flatteuses.

La Maison d’éducation de la Légion d’honneur à Saint-Denis, héritière de celle créée par madame Campan. Politique magazine

La Maison d’éducation de la Légion d’honneur à Saint-Denis, héritière de celle créée par madame Campan. Politique magazine

Une femme de son temps

D’emblée apparaît ici ce qui sera reproché à Mme Campan et la fera tenir en méfiance à la Restauration : protégée de Mesdames, puis de Marie-Antoinette, bénéficiaire de leur affection, la Première femme de chambre, après la chute de la monarchie, tout en affectant une tendresse larmoyante envers la reine, se muera, dans les confidences distillées aux proches de Napoléon, puis, lors de la publication, édulcorée pourtant, de ses Mémoires, en contemptrice sournoise des princes.

Il serait intéressant, Mme Haroche-Bouzinac ne s’y est pas attardée, de tenter de cerner, dans ces souvenirs, destinés ou non à la publication, le vrai de l’inexact, et de comprendre à quel jeu jouait exactement leur auteur.

Mariée, fort mal, en 1774, à François Campan, fils du maître de la garde-robe de la comtesse de Provence, enfui en Italie sitôt la bénédiction nuptiale prononcée, de sorte que l’union ne sera consommée que dix ans plus tard, Henriette a cependant, par ce fâcheux mariage, assuré sa position à la Cour ; la reine a confiance en elle et se livre parfois. Trop ? Ou pas assez ? À lire Mme Campan, certaines scènes sonnent terriblement faux … Les rumeurs qu’elle fit courir sur les relations de Fersen et de la reine, le dossier au nom du Suédois qu’elle exhibait et qu’à sa mort l’on découvrit vide, de sorte qu’il est loisible de se demander si elle avait brûlé les documents ou si ceux-ci n’avaient jamais existé, obligent à s’interroger : quel intérêt Mme Campan avait-elle à calomnier Louis XV, peint sous un jour détestable, Louis XVI, et surtout la reine ?

Plusieurs … Mme Haroche-Bouzinac souligne des points révélateurs : l’éducation « éclairée » d’Henriette, le soutien familial aux Insurgents américains, la fascination pour le modèle républicain d’outre-Atlantique ; l’appartenance, à l’instar d’un grand nombre des proches de Marie-Antoinette, de Mme Campan à une loge féminine maçonnique, appartenance qui ne sera pas sans influence sur sa réussite future. Enfin, au début de la Révolution, Edmond Genet, son frère, membre de la Gironde, sera notre premier, et désastreux, ambassadeur aux États-Unis. Très proche de sa sœur, hostile à la royauté, il eut sur elle une influence certaine. Il ne faut pas sous-estimer non plus la peu glorieuse nécessité dans laquelle Mme Campan se trouva de donner des gages au Consulat et à l’Empire, de sorte qu’elle s’ingénia à prêter à la jeune cour impériale et ses Altesses des vertus pas toujours évidentes mais que les « défauts et les fautes » de Marie-Antoinette permettaient par contraste d’exalter.

Certes, il est faux que Mme Campan ait, lors de la fuite à Varennes, trahi la famille royale ; reste que son comportement, ses confidences laissent un sentiment déplaisant et contribuèrent à forger l’image d’une Marie-Antoinette rattrapée par ses erreurs.

Jusqu’au 10 août 1792, Mme Campan reste près de la famille royale, puis elle a le courage de demander à rejoindre la famille royale au Temple, ce qui lui est refusé. Dès lors, lui reste à assurer sa propre sécurité et celle de son fils unique, Henri. Réfugié à la campagne, Mme Campan réussit à traverser la tourmente en se faisant oublier.

Au service de l’Empereur

La fin de la Terreur la trouve sans un sou, et sa famille à charge. Elle a passé la quarantaine. Elle décide alors de gagner sa vie en utilisant ses connaissances intellectuelles et ses dons artistiques : elle se fera « institutrice », ou, plus exactement, ouvrira une pension pour demoiselles. Sa vraie vie commence.

Elle loue en juillet 1794, à Saint-Germain en Laye, l’ancien hôtel de Rohan et y attire quelques fillettes. L’arrivée des filles de l’ambassadeur américain, et futur président, Monroe, donne à l’établissement une renommée internationale inespérée. Il est vrai que Mme Campan n’usurpe pas la réputation d’excellence qui lui est attribuée. Sa propre expérience l’incite à encourager les femmes à se montrer capables d’affronter seules les tribulations de l’existence. Par un oncle, jadis aide de camp d’Alexandre de Beauharnais, elle a fait la connaissance de la veuve de celui-ci et s’est liée d’amitié avec elle. Mme Campan n’imagine pas l’avenir que lui prépare ses liens avec Joséphine. Très vite, Bonaparte et ses proches lui confient leurs sœurs ou leurs filles.

Depuis 1805, Napoléon rêve d’une « maison d’éducation » destinée aux filles de ses officiers. Mme Campan s’est enthousiasmée, sans comprendre que ses rêves de lycées de filles et d’écoles normales féminines n’entrent nullement dans les intentions de l’empereur, farouchement misogyne. Au fil des ans, car l’Institution de la Légion d’honneur, à Écouen, ne verra le jour qu’en 1809, il lui faudra en rabattre, jusqu’à renoncer à tout ce qui faisait sa réputation d’excellence. Elle consent à tout, dans une volonté désespérée de plaire, quitte, plus tard, à se plaindre de cette nouvelle « servitude », qu’elle a pourtant cherchée. Hélas, l’empereur n’est pas le roi … Elle le découvrira. Malgré ses efforts, elle n’obtiendra jamais la haute main sur l’éducation féminine dont elle rêvait …

Des souvenirs

La chute de l’Empire, que Mme Haroche-Bouzinac traite un peu vite, de sorte que le lecteur mal informé des événements peinera à les suivre, laisse, une fois de plus, Mme Campan sans protecteur. Ses tentatives maladroites pour s’attirer les bonnes grâces des Bourbons restaurés ne lui servent guère. Pas davantage le ralliement du maréchal Ney, son neveu par alliance, à Louis XVIII. Ignorante des usages de l’ancienne cour, la maréchale, lorsque la duchesse d’Angoulême, reconnaissant sa compagne d’enfance, l’appelle par son prénom, preuve insigne de faveur, au lieu de la saluer de son titre de princesse de la Moskova, s’en offusque comme d’une insulte adressée à « la fille de la femme de chambre ». C’est tout le contraire, mais Églé Ney monte savamment son mari contre la famille royale, ce qui ne sera pas sans conséquence dans la volte-face du Brave des braves lors des Cent Jours.

Décidément trop compromise pour espérer, lors de la seconde restauration, la moindre faveur, Mme Campan, sexagénaire, se retire, maussade, à la campagne, vivant dans ses souvenirs toujours plus sublimés, et de l’aide financière de ses anciennes élèves, quand celles-ci avaient sauvé quelque chose des fortunes amassées sous l’Empire.

En 1821, Henri Campan mourut célibataire. Sa mère lui survécut un an. Elle s’éteignit le 16 mars 1822, laissant des écrits inédits et perfides que ses proches se feraient un plaisir de publier pour nuire aux Bourbons…

La Vie mouvementée d’Henriette Campan, Geneviève Haroche-Bouzinac, Ed. Flammarion, 450 p., 25 €

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