Voici une petite histoire… qui n’est pas d’actualité, puisqu’elle date d’un an. Mais si je l’écris maintenant, c’est parce que j’ai depuis peu, dans ma poche, une pièce slovaque de 2 euros, dite « commémorative », et que j’ai failli ne pas avoir…
Les pays de la zone euro ont la possibilité, inaugurée en 2004 par la Grèce, de frapper une pièce commémorative pour célébrer l’anniversaire d’un événement. Était autorisée l’émission d’une pièce par an et par État et, depuis 2013, deux pièces par an. Cela constitue aujourd’hui une belle collection, appréciée par les numismates, avec quelque 150 pièces de 2 euros, de valeurs marchandes très différentes selon, d’abord et bien sûr, la quantité émise : pour 40 millions de pièces « Jeux Olympiques d’hiver à Turin, 2006 » émises par l’Italie, Monaco ne frappa en 2007 que 20 000 pièces « Princesse Grace ». La première vaut… 2 €, la seconde, aujourd’hui quasi-introuvable, est cotée à plus de 1 000 €.
En vérité, l’histoire de cette fameuse pièce slovaque commence en 863 : Cyrille – ou Constantin le Philosophe – né vers 827 à Thessalonique et mort le 14 février 869 à Rome, et son frère Méthode, né vers 820 lui aussi à Thessalonique et décédé le 6 avril 885 en Grande Moravie, sont connus pour être « les Apôtres des Slaves », c’est-à-dire ceux qui ont évangélisé les peuples slaves de l’Europe centrale. L’Église catholique fête les deux saints le 14 février. L’Église orthodoxe fête la natalice (« naissance au ciel » chez les Orthodoxes) de Cyrille le 14 février, celle de Méthode le 6 avril, et la synaxe des deux saints « égaux aux apôtres » le 11 mai, mais les Églises catholiques de la République tchèque et de la Slovaquie les fêtent le 5 juillet. En 1985, le pape Jean-Paul II les a proclamés co-patrons de l’Europe, avec saint Benoît.
C’est donc dès 2012 que la Slovaquie a envisagé de célébrer le 1 150e anniversaire de la mission de Constantin et Méthode en Grande Moravie. Un projet de pièce commémorative vit le jour fin 2012 : l’avers de la pièce représente Constantin et Méthode auréolés, se tenant de chaque côté de la double croix, dressée sur trois collines. La croix est en même temps tenue comme une crosse d’évêque, unissant ainsi les symboles de l’État et du christianisme. Elle souligne l’importance de la mission des deux frères, qui a contribué à garantir l’entière souveraineté et la légitimité de la Grande Moravie – le premier État
slave de l’Europe centrale. Constantin tient un livre, symbole de l’éducation et de la foi, tandis que Méthode tient la maquette d’une église, symbolisant la foi et l’institution chrétienne.
Tout projet de pièce commémorative, il faut le savoir, doit être préalablement soumis à la toute puissante Commission de Bruxelles. Or, celle-ci réagit négativement à la représentation de deux personnages auréolés, symboles religieux peu acceptables dans une Europe censée s’appuyer, de nos jours, sur des principes spécifiquement laïcs.
La Slovaquie commença par négocier, en envisageant de retirer la croix. A noter que l’on trouve déjà cette croix sur le drapeau du pays, ainsi que sur les pièces de série courante de 1 et de 2 euros (émises lors de l’entrée de la Slovaquie dans la zone euro, le 1er janvier 2009).
Et puis non ! Les Slovaques tinrent bon : « On garde la croix, on garde les saints, on garde les auréoles ! » La Slovaquie affirma qu’il s’agissait de son histoire, et que son histoire ne saurait être censurée par une instance supranationale ! Les Bulgares vinrent au secours des Slovaques, en évoquant une pièce de monnaie qu’ils voulurent frapper et qui représentait l’effigie d’un de leurs saints fondateurs, projet qui fut… censuré ! Mais par qui ? Eh bien cela se passa du temps de « l’influence » soviétique !
Argument qui ébranla la position de la Commission : agir à l’égard de la Slovaquie comme le régime d’obédience soviétique l’avait fait à l’égard des Bulgares, cela se concevait difficilement !… C’est ainsi que la Commission finit par accepter le projet de pièce slovaque.
Dans l’ombre, deux États, ou plutôt deux gouvernements fulminaient ! Car ils s’étaient opposé radicalement à ce projet de pièce, soutenant ainsi la Commission dans sa lutte contre « l’affichage » de symboles chrétiens. Le premier est le gouvernement de coalition de la Grèce. Quel autre ?… Ne cherchez pas trop loin ; il est installé à Paris…