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Crimes à l’italienne

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Crimes à l’italienne

L’univers de l’inspecteur Giuseppe Lojacono de la police d’Agrigente a basculé lorsque un maffieux l’a injustement accusé d’être un informateur de Cosa Nostra. Même si cela semblait improbable de la part de ce flic exemplaire, on a préféré, en haut lieu, couper court au scandale en l’expédiant sur le continent, affecté à de vagues tâches administratives dans un commissariat napolitain où l’on a ordre de l’ignorer. Cela fait un an et Lojacono, abandonné par sa femme, coupé de sa fille, crève à petit feu. Jusqu’à ce soir d’hiver où, sous une pluie battante, seul de garde, il se retrouve le premier sur les lieux de l’assassinat d’un adolescent. (Maurizio De Giovanni : La méthode du crocodile. 10-18. 308 p. 6, 80 €)

Selon ses supérieurs, c’est un coup de la Camorra pour laquelle le gamin travaillait occasionnellement. Lojacono n’y croit pas. Et, quand une fillette de la haute bourgeoisie, puis un étudiant en médecine, tous enfants uniques, sont assassinés dans des circonstances analogues, le Sicilien ne doute plus : un monstre à sang froid rôde dans les rues, semant le désespoir sur son passage. Reste à comprendre pourquoi.

Il n’y a qu’un auteur de polars italien pour parvenir à ces savants sommets de cruauté, mettre en scène des tueurs tellement dévorés de souffrance et de haine qu’ils inspirent plus de pitié que de colère, et plonger le lecteur dans une glaciale horreur face à l’implacable dureté du monde. Un Anglo-saxon reculerait devant certains dénouements, un Italien non car il sait que la vie connaît peu de happy ends. Maurizio De Giovanni donne une grande leçon d’écriture et de psychologie tandis qu’un flic ravagé parcourt les rues d’une Naples hivernale, sinistre et noyée de pluie, traquant seul un « Crocodile » mangeur d’enfants. Mais, sous cette intrigue noire, se dissimule, mine de rien, le plus remarquable plaidoyer contre l’avortement qu’il soit possible de lire.

Avoir résolu seul la sinistre affaire du « Crocodile » n’a pas amélioré la situation de Lojacono. Certes, personne ne croit plus aux accusations mensongères portées contre lui mais la police napolitaine pardonne mal au Sicilien de s’être montré trop clairvoyant à l’heure où tous les médias avaient les yeux rivés sur elle. Aussi ses supérieurs sont-ils ravis, faute de pouvoir à nouveau le reléguer au placard, de le muter au commissariat de Pizzofalcone, menacé de fermeture à la suite d’un retentissant scandale et où l’on a décidé, pour former la nouvelle équipe, d’expédier tous les flics à problème, dans l’espoir de s’en débarrasser. ( La collectionneuse de boules à neige. 10-18. 355 p. 7,10 €.)

Mais Lojacono et ses confrères ont l’intention, en dépit des crises intimes qu’ils traversent tant bien que mal, de saisir cette seconde chance et de prouver ce qu’ils valent. Quand, un soir de tempête, Cecilia De Santis, figure vieillissante de la haute société, épouse trompée et résignée à l’être, est retrouvée chez elle, le crâne fracassé par l’une des boules à neige qu’elle collectionnait avec passion, « les salopards de Pizzofalcone » comprennent qu’ils tiennent l’occasion attendue.

Avec cette seconde enquête de Lojacono, De Giovanni poursuit son exploration sans concession d’une Naples crépusculaire et lugubre, gangrenée par les trafics, l’intégration toujours plus difficile d’une immigration galopante, la crise économique, la solitude, l’indifférence et la ruine morale d’une société qui a perdu tous ses repaires. Cela ne vous remontera pas le moral mais confirmera la qualité d’un romancier singulier, loin, très loin des clichés sur la « bella Italia » et la « dolce vita ».

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