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Sélection : pour un été en pleine liberté

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Enfin l’été et les vacances ! C’est le moment de prendre le temps de savourer un ou plusieurs de ces romans qui peuvent se savourer sur la plage mais qui sont plus que de simples « romans de plage ».

Commençons par un des petits miracles de la littérature : la naissance d’un écrivain. En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut (éditions Finitude), sous une couverture acidulée, dans le style des comics américains des années 1950, est un fruit de printemps à savourer aux beaux jours. Ces deux jambes obliques, ce costume vieillot, d’un bleu pétrole incroyable, ces chaussures bicolores, ce mouvement qui joint les corps et les enlève, c’est tout le livre qui est une danse.

Passez des nuits folles avec Maman, Papa, leur petit garçon ébloui, le grand initiateur qu’est l’Ordure, sous l’œil incertain de Melle Superfétatoire, une demoiselle de Numidie qu’on promène en laisse dans Paris. Si, si ! ainsi vont les choses dans ce monde inventé par une imagination qui traverse la vie sur le fil, sans balancier, sans filet, directement en prise avec l’envers du décor et la vérité des émotions les plus fraîches. Il ne s’agit pourtant pas d’un délire : nous sommes dans le monde réel, mais juste à côté, à l’endroit où la vie devient plus savoureuse que la première glace de l’été.

D’abord la rencontre. Une femme prête à tout accepter de ce qu’on lui racontera pourvu que ce soit joli comme un conte. Un homme qui tombe éperdument amoureux et se met à mentir comme on tricote, à l’endroit, à l’envers ! « Le temps d’un cocktail, d’une danse, écrit-il, une femme folle et chapeautée d’ailes, m’avait rendu fou d’elle en m’invitant à partager sa démence. » C’est l’amour fou, pas en manifeste intello, mais en vie vécue, organisée pour faire exister ce à quoi nous n’osons jamais croire assez.

Parce que maman meurt

Ils se marièrent et n’eurent qu’un garçon. Sans doute parce que « pour elle, le réel n’existait pas. J’avais rencontré un Don Quichotte en jupe et en bottes, qui, chaque matin, les yeux à peine ouverts et encore gonflés, sautait sur son canasson, frénétiquement lui tapait les flancs, pour partir au galop à l’assaut de ses lointains moulins quotidiens. Elle avait réussi à donner un sens à ma vie en la transformant en bordel perpétuel. »

Ce qui est prodigieux, en sus du rythme de ces phrases et du tintamarre enthousiasmant qu’elles produisent, c’est que cette histoire monte, monte ! en puissance inventive, en émotions frémissantes – et en grandeur tragique. Parce que Maman meurt. La vie est triste, mais l’amour de la vie est tellement plus fort que la tristesse ! Après l’enterrement, « je les avais regardés boire et discuter, puis boire et chanter. Ils ne parlaient que de souvenirs gais, ils riaient, et moi je riais avec eux parce qu’on ne peut pas toujours être malheureux. Puis l’Ordure est tombé de sa chaise comme un sac, Papa est tombé aussi en essayant de le relever, parce que l’Ordure est un gros paquet difficile à manipuler. […] Je n’avais jamais vu une scène pareille, et en partant me coucher j’avais pensé que Maman l’aurait certainement adorée. » Nous, en tous cas, on en est fou.

Mais pas fou de foot ni, surtout, du délire panurgique que son grand barnum provoque. Pour y faire face avec bonheur, ouvrez la dernière livraison du « Club des ronchons », fondé par le regretté Jean Dutourd, Allez vous faire foot ! (aux éditions des Paraiges). Dans ce onzième recueil, vous apprécierez l’invention et la drôlerie de quelques esprits libres, qui n’aiment rien tant que donner un coup de pied dans la fourmilière des décervelés que notre société avancée – comme une viande immangeable est avancée – se plaît à fabriquer.

Une histoire de flic
Pour prendre une douche écossaise, passons à un bouquin où on ne rigole pas. Surtensions (éditions Michel Lafon) d’Olivier Norek est une histoire de flic, une vraie : l’auteur est un lieutenant de police judiciaire en disponibilité, qui a fait ses classes dans le 93. Comme dirait Fabrice Luchini : « C’est du lourd ! » ; Audiard, lui, aurait dit : c’est « du brutal ». Les personnages ont le côté brut de décoffrage de ceux que ce grand monsieur a fait jacter. L’histoire, montée comme une horloge, fait le tic-tac d’une bombe. Il y a au fond la merci pour nos « frères humains ». Une scène épatante au mitan du livre : le requiem des taulards, une lamentation pour quarts de fer blanc et barreaux de cellule. Sont dénoncés par le fait l’état de notre justice négligée, honteuse et sans moyens, l’état de nos prisons indignes,  la lâcheté des responsables, menteurs et hypocrites, qui se vantent, en pleurnichant comme des crocodiles, d’être du pays des droits de l’homme !

Terrorisme
Et puisqu’on est au moment de s’instruire, si vous êtes curieux de savoir comment on en est venu à fabriquer les terroristes islamistes dans nos sociétés les plus avancées, lisez le roman de Marc Trévidic, Ahlam (éditions Jean-Claude Lattès). Ce juge, qui a passé dix ans dans l’antiterrorisme, connaît la chanson. Il nous raconte une histoire exemplaire qui se déroule en Tunisie. La Tunisie du progrès, de l’instruction, du tourisme enchanteur, tenue par des professionnels de la politique à l’occidentale, explose un beau printemps, et la partie la plus enthousiaste de sa jeunesse à qui on a tellement menti, se jette à corps perdu, soit dans le militantisme angélique, soit dans le bercement des vérités servies chaudes et qui tuent toute réflexion, tout sentiment humain. On est prêt pour la bastonnade et le grand égorgement sur fond de purification. L’amitié, le don de soi, le sens de la beauté, rien ne tient devant le déferlement de la purification à face de Gorgone. En arrière-plan, une belle méditation sur la culture et l’art, des interrogations déchirantes, un grand élan d’amour pour tout ce qui peut faire de notre condition misérable un enchantement, sans cesse recommencé.

Un roman de femme
Revenons pour conclure au plaisir simple, avec un joli petit roman de femme : La Veillée, de Virginie Carton (éditions Stock). Quand je dis petit, c’est par la taille et le montage : délicat, subtil, joli. Quand je dis « de femme », c’est parce qu’un homme n’aura jamais la délicatesse dont regorge ce texte. Les théories du genre n’y pourront rien : une bonne moitié de l’espèce humaine l’emporte sur l’autre en finesse, en doigté, en élégance, et uniquement parce qu’elle appartient au beau sexe. Dieu l’a voulu ainsi, qu’Il en soit loué.

Le sujet : deux amis, une femme et un homme, se retrouvent après des années d’éloignement pour veiller le père de l’homme, qui vient de mourir. Un huis-clos en cinq actes respectant – presque – les trois unités. Ce pourrait être une tragédie. Ce n’est pas non plus une comédie. C’est plutôt comme un intermède avec entrée de clown, sacrément bien fait, bouleversant de gentillesse et de noblesse. On y chante en sourdine les belles vertus : l’amitié, la plus grande des vertus selon Aristote, la bonté, l’indulgence qui conduit au pardon, la discrétion d’être fidèle. Lorsqu’un couple d’amis est capable de vivre cette nuit-là, on comprend la tendresse de Dieu pour notre espèce, tellement fragile, tellement forte.
Ce roman se passe au bord de la mer, la mer « toujours recommencée » : plongez ! C’est l’été !

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