Recevez la lettre mensuelle de Politique Magazine

Fermer
Facebook Twitter Youtube

Article consultable sur https://politiquemagazine.fr

La liberté descend du ciel

Quatre-vingts ans après la Libération, la compositrice Pierrette Mari1 écrit une œuvre en hommage aux soldats hawaïens qui ont délivré la vallée du Var et avec lesquels elle garda contact après la guerre. Le Débarquement de Provence, trop souvent relégué au second plan, a pourtant joué un rôle majeur dans la victoire des armées alliées sur l’Allemagne nazie. Chronique musicale Par Damien Top.

Facebook Twitter Email Imprimer

La liberté descend du ciel

« Sous sa mante ancestrale que dore une lumière

Vivace et dentelée,

Le village apparait, mélancolique et tendre,

Avec son vieux clocher2»

Tandis que D.-J. Mari, journaliste et poète, auteur de chansons pour le Carnaval de Nice, intégrait la Résistance, sa femme et sa fille, fuyant les dangers de l’occupation allemande, se réfugièrent au Broc, petit village de l’arrière-pays, dans la maison de leurs amis Dozol sur la place du Vallat. C’est là que la jeune Pierrette passa une partie de la guerre avec sa mère, cantatrice renommée. Henriette Corot se produisait dans les théâtres du littoral méditerranéen ; elle a chanté Musetta (La Bohème), Siebel (Faust) ou encore Suzanne (Les Noces de Figaro) sous la direction de chefs comme Albert Wolff ou Paul Paray. Se destinant à une carrière d’interprète, l’adolescente eut alors tout loisir de travailler quotidiennement son piano.

Nancy a le torticolis

Le soir du 14 août 1944, plusieurs messages codés furent émis par la BBC depuis Londres. « Nancy a le torticolis » informait les Forces Françaises de l’Intérieur du caractère imminent du débarquement de Provence initié par les Alliés. « Le chef est affamé » donna le signal du début des hostilités. Un peu partout, les FFI se mobilisèrent.

La compagnie antitank du 442d RCT (Regimental Combat Team), regroupant principalement des volontaires Nisei (américains d’origine japonaise), avait été affectée à la First Airborne Task Force avec mission de soutenir le 517e Régiment d’infanterie parachutiste lors de la reconquête du sud de la France. Après un entraînement spécifique de l’unité près d’Ostie, en Italie, la troupe embarqua le 15 août à bord de 44 planeurs remorqués qui les larguèrent entre Le Broc et Gilette. C’est ainsi qu’avec d’autres engagés, Tom Isao Oshiba, qui habitait à Hilo, sur la grande île d’Hawaï, fut parachuté à Pra des vignes, une prairie couverte de carottes sauvages en fleurs et entourée d’arbres protecteurs.

Deux canons ennemis positionnés au Broc bombardaient la Roquette-sur-Var, située de l’autre côté de la vallée où le prêtre résistant avait dissimulé du matériel radio dans le clocher de l’église Saint-Pierre. Des combats avec les miliciens éclatèrent, mais le parachutage fit fuir les allemands. Le 16 août, les FFI occupèrent dans le même temps Saint-Martin et La Roquette, renforcés par le maquis Combat.

La réussite de l’opération Dragoon

Dans son carnet intime, la musicienne de 14 ans consigna les évènements :

  • 25 août 1944 : « Arrivée des troupes américaines. Maman fait des cocardes. Je passe dans les maisons recueillir de la toile. Je confectionne des pansements. Lutte des Patriotes contre les Boches. Animation générale. Un gros blessé arrive. » Sa tante, Emilie Seyfarth, qui avait été infirmière major lors de la Première Guerre, avait installé une antenne médicale dans une chapelle désaffectée. Pierrette collectait linges, denrées et ustensiles auprès des villageois pour aider les combattants.
  • Samedi 26 : « Rencontre de George Harada et Tom Oshiba. Grande conversation en anglais. La bataille fait rage. » George et Tom logèrent au 2e étage de la maison occupée par les Mari au centre du village. Ils partageaient le repas vespéral avec la famille. Pierrette alla même cueillir des prunes pour le dessert, à quelques dizaines de mètres de l’endroit où étaient placés les canons allemands.
  • Dimanche 27 : « Prise du village de Gattières. John et Tom passent l’après-midi à la maison et nous racontent leur voyage depuis Honolulu jusqu’au Broc. » Et Pierrette, se mettant au piano, leur joua du Bach pour les distraire.
  • Lundi 28 : « La bataille bat son plein. La Roquette est attaquée, entourée de flammes. Menace de bombardement sur toute la région. Nous prenons le café chez Mr Francis Gag3 avec John et Tom. »
  • Mardi 29 : « Prise de Nice. Joie sur la place. Vers 11h. un petit soldat américain vient faire sa popote à la maison, je lui installe une jolie table et je mange un bon dessert. Nous prenons une coupe de champagne chez les Gag. Les Américains vont et viennent sur les routes. » Elle se souvient de leur gentillesse : ils distribuaient du chocolat et… du « singe » (corned beef).

Go For Broke

En faisant ses adieux à la famille avec laquelle il avait tant sympathisé, Tom Oshiba découpa son parachute et en offrit un morceau à la jeune fille qui l’a pieusement conservé jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’en 1952, Tom et sa sœur Chieko correspondirent avec Pierrette : « Il est toujours entiché de votre pays et de votre peuple » lui écrivit-elle le 21 mars 1946.

Le cinéaste américain Robert Pirosh retraça l’épopée de ces valeureux nippo-américains dans son film Go for Broke ! produit par la Metro Goldwin Mayer en 1951 avec Van Johnson en vedette. La partition musicale signée d’Alberto Colombo comporte des marches militaires obligées mais fait aussi entendre nombre de chants hawaïens. La devise du régiment « Go for broke » signifie « Tout ou rien » dans le pidgin parlé à Hawaï. Le film fut nominé pour l’Oscar du meilleur scénario original en 1952.

80 ans plus tard

En février dernier, Pierrette Mari et moi réfléchissions à la manière dont nous pourrions commémorer les 80 ans de la Libération. Elle me narra son expérience de la guerre. Enthousiasmé par son histoire, j’ai immédiatement mobilisé mes amis des îles afin d’effectuer des recherches complémentaires sur ces soldats, dont nous avons pu retrouver les descendants. Et j’ai demandé à Pierrette de mettre en chantier une œuvre spécifique évoquant cet épisode de la Libération, lui promettant de la programmer là-bas. « Cela m’a paru complétement surréaliste ! Mais je m’y suis attelée » témoigne la compositrice4. La liberté descend du ciel regroupe quintette à cordes et quintette à vents ainsi qu’une partie de percussion hawaiienne laissée à l’improvisation de l’exécutant. Sa forme est tripartite : Energique – Andante – Scherzetto. Elle se veut non pas une évocation des heures sombres de la guerre mais une célébration joyeuse de la victoire. La création aura lieu en 2026 dans le cadre de la série Chamber Music Hawaii, en présence de diverses personnalités et des familles des soldats Nisei qui furent parachutés en France. Une semblable manifestation pour le Japanese American National Museum est également prévue à Los Angeles.

 

À voir : Go for broke ! est visionnable en ligne sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Tout_ou_rien_(film,_1951)

À écouter : Pierrette Mari, Escalades sur un piano, 1 CD CIAR Classics CC 019

Illustration : Pierrette Mari entourée de deux soldats. Tom Isao à l’extrême droite, George Harad avec le casque, et des villageois.

 

1 Voir Politique Magazine n° 179 d’avril 2019.

2 Pierrette Mari, Le Broc, in En Provence, Zurfluh, 1999.

3. De son vrai nom Francis Gagliolo (1900-1988), écrivain et dramaturge niçois.

4. Entretien avec Alexandre Pham, Classiquenews, novembre 2025.

 


Politique Magazine existe uniquement car il est payé intégralement par ses lecteurs, sans aucun financement public. Dans la situation financière de la France, alors que tous les prix explosent, face à la concurrence des titres subventionnés par l’État républicain (des millions et des millions à des titres comme Libération, Le Monde, Télérama…), Politique Magazine, comme tous les médias dissidents, ne peut continuer à publier que grâce aux abonnements et aux dons de ses lecteurs, si modestes soient-ils. La rédaction vous remercie par avance.

Facebook Twitter Email Imprimer

Abonnez-vous Abonnement Faire un don

Articles liés