France
Triste anniversaire
Il y a vingt ans, Maurice Allais entamait son combat contre la mondialisation et l’Europe fédérale. En 2025, tout lui donne raison.
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Nous ne discuterons pas ici des Nobel des sciences dites dures, la physique par exemple, où se sont illustrés ces dernières années deux Français, dont nous pouvons raisonnablement être fiers, Alain Aspect (2022) et Michel Devoret (2025) tous deux sur cette formidable question de la physique quantique.
Dans le domaine littéraire nous avons été affligés d’un Nobel de littérature qui trouvait bien du mérite au voile islamique, en tant que signe identitaire et affirmation décoloniale (la France colonise ses immigrés…en France !), Annie Ernaux. Au demeurant, il n’existe pas de prix Nobel de l’ennui littéraire.
Le problème se complique avec l’économie, qui n’est pas une science mais qui en a les apparences et se revendique comme. L’économie utilise l’outil mathématique et prétend donc à la scientificité telle ; mais les formules mathématiques énoncées par les économistes ne sont le plus souvent valides que dans l’univers clos et abstrait des nombres. Alors, l’économie, science ou non science ? La question n’est pas l’objet de notre article mais mérite d’être posée1.
Nous voilà gratifiés d’un Nobel d’économie, Philippe Aghion. Ce prestigieux prix récompense ses travaux sur l’impact des nouvelles technologies dans l’accélération de la croissance : pour l’heure, en France, beaucoup de technologie mais peu de croissance, serait-ce déjà la « destruction créatrice » ? Philippe Aghion a effectué une partie de ses études supérieures à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne au sein de laquelle il a obtenu un DEA (1981) puis son doctorat de 3e cycle en Économie mathématique (1983). Il exprime, dans sa jeunesse, des sympathies pour le Parti communiste français.
Mais les Français connaissent-ils ses prédécesseurs Esther Duflo, Gerard Debreu et Maurice Allais ? Arrêtons-nous à ces deux derniers. Gerard Debreu, Nobel 83 pour ses travaux sur l‘équilibre général, adoptés par la majorité des théoriciens en économie mathématique, formulés très exactement ainsi : « Existence et optimalité d’un équilibre général concurrentiel ». Définition abstraite de la mondialisation tant postulée dans les années 80 et dont je crois avoir montré2 que, précisément, elle est à l’origine d’un profond déséquilibre et que le paradigme gagnant-gagnant était une vaste illusion.
Mais je ne peux ici oublier un autre prix Nobel d’économie, qui ne fut pas prophète en son pays, Maurice Allais, né le 31 mai 1911 à Paris et mort le 9 octobre 2010 à Saint-Cloud, économiste et physicien français, lauréat du Nobel en 1988. Issu d’un milieu modeste, il sortit major de l’École polytechnique. Écoutons-le et l’on comprendra qu’il fut vilipendé par le menu fretin de la pensée économique et par les adorateurs de la doxa mondialiste pour sa critique du libre-échange. « Les décideurs n’ont cessé d’être aveuglés par des idées dominantes, le martèlement incessant de pseudo-vérités. On assiste en effet à la mainmise sur les esprits d’une idéologie simplificatrice du libre-échange ». Une thèse qui postule que si on libère tout, ce ne peut être, en définitive, qu’avantageux pour tout le monde. « Cette idéologie […] prônant une économie de marché où la libre concurrence favorise(rait) une allocation efficace des ressources, ce qui n’est manifestement et malheureusement plus le cas ».
Sa parole forte fut régulièrement censurée, à la limite de la mort sociale ; il faut dire qu’il avait, en plus, défendu l’Algérie française, et qu’il était hostile à l’immigration. Écoutons-le encore : « L’idéologie que j’appelle “libre-échangiste mondialiste” a déjà fait d’innombrables victimes dans le monde entier. Pour une raison simple, empiriquement vérifiée : la mondialisation généralisée des échanges, entre des pays caractérisés par des niveaux de salaires très différents, entraîne finalement partout, dans les pays développés comme dans les pays sous-développés, chômage, réduction de la croissance, inégalités, misères de toutes sortes. Or, cette mondialisation n’est ni inévitable, ni nécessaire, ni souhaitable »3.
Contrairement à ses deux prédécesseurs d’origine très modeste, Philippe Aghion appartient à une famille bourgeoise. Il est le fils de Raymond Aghion, propriétaire d’une galerie d’art boulevard Saint-Germain, lui-même fils d’un banquier-exportateur de coton, adhérent au Parti communiste.
Sa thèse, qui n’est pas sans intérêt, n’est pas totalement nouvelle, il reprend et développe les théories de Schumpeter sur la destruction créatrice (un journaliste du Figaro nous apprend que cette thèse est totalement nouvelle, n’ayant sans doute jamais entendu parler du brillant économiste autrichien). Celui-ci proposait dès les années 1930 une interprétation des cycles économiques à la lumière des vagues technologiques : les innovations sont à l’origine de cycles économiques. Il montrait que le phénomène de grappes d’innovations est à l’origine à la fois de l’expansion comme de la récession qui lui succède avec, à la clef, destruction d’emplois et création de nouveaux emplois. Les travaux d’Aghion sont critiqués pour son techno-optimisme ou son attachement à la croissance du PIB comme indicateur phare. Il déclare pourtant : « Je crois qu’il faut une croissance parce qu’on ne peut pas distribuer ce qu’on ne produit pas. Mais je la veux inclusive. Je veux que tout le monde puisse avoir sa part, participer » : avec de telles pensées, tout le monde mérite le Nobel.
Il ne peut s’empêcher d’exprimer ce travers de l’élite, lui qui fut conseiller de Hollande et Macron (il a contribué à la rédaction du programme du chef de l’État en 2017, quoiqu’ayant pris ses distances avec la politique économique de ce dernier), à savoir le mépris de classe, l’arrogance du sachant. À propos d’une éventuelle arrivée du RN au pouvoir, invité sur BFMTV : « Je ne veux pas que le RN prenne le pouvoir. Je ne fais pas confiance à ces gens-là pour gérer la France. Je ferai tout pour que cela n’arrive pas ». D’accord ou pas d’accord avec le programme de « ces gens-là », nous sommes bien dans la post-démocratie, le vote populaire est tenu pour dangereux et négligeable. Comment ne voit-il pas que les équipes qui sont au pouvoir ont perdu, pour le compte, la confiance des Français et d’une partie du patronat ?
Selon lui la taxe Zucman, est « un repoussoir », une proposition soutenue à gauche et visant à taxer l’équivalent de 2% des patrimoines des ultrariches. « Ça va être un repoussoir pour les nouveaux entrepreneurs », citant notamment le cas de la start-up française Mistral, champion français de l’intelligence artificielle, dont la capitalisation est déjà élevée mais dont les dirigeants ne se payent pas encore en salaire. « Je ne veux pas que la révolution de l’IA échappe à la France », affirme notre prix Nobel. Un ancien prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, soutenait vigoureusement l’inverse et défendait la nécessité de la taxe Zucman, dénonçant le pouvoir mortifère de l’oligarchie qui s’y opposait. Dans ce contexte de foire à la saucisse fiscale, affiché par la Chambre, il semble néanmoins quelque peu timoré, il ne voit pas (ou ne dit pas ) par exemple que les taxes sur les GAFAM seront refacturées aux PME et aux consommateurs français. Dans son approche de la technologie comme outil de renouvellement économique, Aghion explique que « l’innovation verte » (entendez technologique) est une solution au réchauffement climatique, ce qui n’est pas tout à fait faux, mais révèle combien le Nobel se conforme à la doxa du moment, et l’on voit comment le Nobel récompense les économistes consensuels ; Maurice Allais, ce géant, ne fut pas consensuel et le paya chèrement.
1 Il me fut donné de me pencher pour une thèse sur les travaux des économistes soviétiques et polonais (1950/1980). Tous utilisaient l’outil mathématique comme moyen quelque peu terroriste pour affirmer le caractère scientifique… du communisme, ou pour le réformer : l’argument d’autorité par les mathématiques !
2 Les nouvelles routes de la servitude (Presses de la Délivrance), principalement aux chapitres III et VIII.
3 Dans son livre : La mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance : L’évidence empirique, 1999, éd. Clément Juglar.
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