Guerre et paix, tel est le titre de l’ouvrage que Clément Millon consacre à la manière dont les papes, de Léon XIII à Léon XIV, de 1870 à nos jours, tentent de jouer un rôle dans la pacification du monde, par leur magistère mais aussi par l’organisation et l’orientation qu’ils donnent à la diplomatie du Saint-Siège.
Quand commence l’ouvrage, la papauté vient de perdre les États pontificaux – officiellement dissous en 1900 – et doit se réinventer pour jouer un rôle international. Le pape se considère encore comme un chef d’État, et la thèse de la légitime défense en matière de guerre y est liée, même s’il dénonce la guerre entre États catholiques au nom d’une société internationale catholique parfaite – organisée selon ses préceptes. Mais sous la pression de l’Italie, et malgré l’avis favorable du tsar – mais invitait-il un chef d’État ou une autorité morale ? –, le Saint-Siège est exclu des conférences internationales de La Haye de 1899 où l’on débat, justement, de la guerre et de la paix. Malgré cette mise à l’écart, Léon XIII adhère au projet des conférences internationales, dépassant l’idée du seul magistère catholique pour considérer que l’important est de faciliter les accords entre les États – et nouant lui-même, réorganisant pour cela le corps diplomatique du Vatican, des relations diplomatiques avec de nouveaux pays, dans le monde orthodoxe ou en Asie. Une notion apparaît dès cette époque : le refus de la course aux armements, la paix ne pouvant naître selon le pape de l’équilibre des peurs. Il voit aussi les limites du système d’alliances qui se met en place, et dont il estime qu’il pourrait entraîner une véritable catastrophe.
Son successeur, Pie X, le voit plus encore, et cherche à suivre les procédures prévues par la convention de La Haye – bien que le Saint-Siège soit encore exclu de la seconde conférence de 1907 – multipliant les initiatives diplomatiques et permettant des arbitrages sous son autorité morale. Mais sa tentative de bons offices de 1914 est un échec, et quand son successeur, Benoit XV, tente des médiations, il est vite accusé de parti-pris, comme lorsqu’il promeut, dès 1915, l’idée d’une paix juste et durable avec des compromis, à rebours de la « victoire totale » voulue par les deux camps. Il veillera dès lors à limiter les effets du conflit sur les civils ou les prisonniers. Pape de l’entre-deux-guerres et de la Seconde guerre mondiale, Pie XI développe encore la diplomatie pontificale, privilégiant clairement le rapport aux États – ce qui, dans les cas des Cristeros mexicains, surprendra une part du monde catholique. Après 1939, l’action de Pie XII, dont Clément Millon rappelle qu’elle a été très largement caricaturée, vise à préserver les victimes des conflits, faisant une part importante à la notion de droits de l’homme. Quant à la paix mondiale, elle passe selon lui par des rapports internationaux clarifiés – égalité entre États, fin de la course aux armements, institution internationale qui permet le dialogue – mais aussi par la satisfaction des besoins propres des peuples par des mesures de justice sociale.
De chef temporel au statut de puissance morale
Jean XXIII intervient dans un monde de l’après-guerre marqué par la décolonisation. L’auteur de Pacem in terris a longtemps été présenté comme « le pape de la paix », mais Clément Million, en le replaçant dans la perspective de ses prédécesseurs, le montre peut-être moins original qu’on ne le pense. Paul VI ajoute à la diplomatie pontificale classique l’action de Sant’Egidio, structure, non ecclésiastique, et offre une visibilité internationale nouvelle à la papauté par ses voyages dans le monde, une manière de propager des messages qui culmine avec Jean-Paul II. Ce dernier porte une attention très particulière à la diplomatie papale dans le cadre particulier de la guerre froide, déjà envisagé certes par Paul VI, mais auquel, par son origine polonaise, il est nécessairement plus sensible. Pour Jean-Paul II, la paix mondiale suppose toujours le recours à une institution internationale de dialogue, l’ONU, le désarmement, mais aussi une aide des pays du Nord envers ceux du Sud.
Benoit XVI, théologien confronté à des tensions religieuses dans le monde, alors que l’islam se fait de plus en plus conquérant, insiste, dans sa recherche de la paix, sur le dialogue interreligieux, pour tenter de retrouver l’unité des chrétiens, d’une part, mais aussi, d’autre part, par une ouverture sur d’autres religions. La dimension spirituelle est pour lui essentielle, et la papauté lui semble pouvoir être ici aussi une médiatrice. Reste François qui, face à l’évolution du monde, prône un humanisme qui voit dans la fraternité la réponse aux tensions naissant du bouleversement planétaire des migrations. Mais en 2025, la papauté n’est plus le seul acteur de médiations internationales, et tandis que l’ONU ronronne de nouveaux acteurs apparaissent, qu’il s’agisse de l’Arabie Saoudite, du Qatar… ou de l’imprévisible Donald Trump et de ses deals.
Cette mise en perspective de l’action des papes révèle l’évolution du Saint-Siège sur la manière de considérer sa place dans le monde et sa mission pacificatrice. De chef temporel, devant dès lors justifier la guerre de défense de ses États, au statut de puissance morale définissant les conditions d’une paix durable entre États, suivant d’un côté les lignes de tensions nouvelles (entre États, à l’intérieur de ceux-ci, Nord/Sud, religieuses ou conséquences de la mondialisation) pour proposer des principes guidant les actions, tout en usant, dans la pratique, des services de sa diplomatie pour des résultats parfois jugés limités, quels sont les choix de ces papes ? Cet ouvrage, très documenté, offre bien des pistes et permet de sortir des visions simplistes.
Clément Million, Guerre et paix : les papes de Léon XIII à Léon XIV, Le lys et le lin, 2025, 349 p. 25 €

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