Les communiqués par lesquels l’Élysée annonce depuis 2017 la nomination des Premiers ministres successifs du Mozart de la finance jettent une lumière intéressante sur le fonctionnement de nos institutions. Suivons-les.
On relèvera, d’abord, l’absence de communiqué sur le site de l’Élysée concernant la nomination du premier Premier ministre du président nouvellement élu, Édouard Philippe. C’est seulement le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, qui annonce cette nomination le 15 mai 2017 (« le Président de la République a nommé monsieur Édouard Philippe Premier ministre »), ajoutant la phrase habituelle selon laquelle le président l’a chargé « de former le nouveau gouvernement ». Le Premier ministre dirigeant « l’action du gouvernement » (article 21 de la Constitution), c’est bien à lui qu’il appartient d’en choisir les membres, rien donc que de très normal. Et le 3 juillet 2020, c’est par un court message identique que l’Élysée annonce sur son site la nomination de Jean Castex : « Le Président de la République a nommé M. Jean Castex Premier ministre, et l’a chargé de former un gouvernement ».
Mais les choses changent avec la nomination d’Élisabeth Borne. Si, en effet, le communiqué de l’Élysée du 16 mai 2022 est identique aux précédents (« Le Président de la République a nommé Mme Elisabeth Borne, Première ministre et l’a chargée de former un gouvernement »), le site de l’Élysée y joint un touite présidentiel qui relève à la fois de l’encouragement… et de l’encadrement de l’action à mener. « Chère @Elisabeth Borne, Madame la Première ministre – écrit en effet Emmanuel Macron –, Écologie, santé, éducation, plein-emploi, renaissance démocratique, Europe et sécurité : ensemble, avec le nouveau gouvernement, nous continuerons d’agir sans relâche pour les Françaises et les Français. » Le contexte de cette nomination, après la réélection du Président certes, mais surtout après des législatives qui fragilisaient la majorité présidentielle, comme Matignon offert à une représentante de l’aile gauche de cette majorité, tout cela pouvait laisser penser à un changement d’axe ; le « ensemble […] nous continuerons d’agir » démontre qu’il ne saurait en être question pour Jupiter.
Un an et demi plus tard, l’encadrement présidentiel se fait plus ferme encore. Le 9 janvier 2024, si le communiqué de l’Élysée est toujours sobre (« Le Président de la République a nommé M. Gabriel Attal Premier ministre, et l’a chargé de former un gouvernement »), le touite qui l’accompagne cette fois aussi ne laisse plus aucune place au doute. « Cher @GabrielAttal – écrit le Président –, je sais pouvoir compter sur votre énergie et votre engagement pour mettre en œuvre le projet de réarmement et de régénération que j’ai annoncé. Dans la fidélité à l’esprit de 2017 : dépassement et audace. Au service de la Nation et des Français. » Le Premier ministre n’est donc ici, quasiment officiellement, que l’exécutant supposé zélé des choix présidentiels, mettant en œuvre une ligne politique qui, Emmanuel Macron l’assume, n’a pas varié d’un iota depuis 2017.
Un ferme encadrement présidentiel
Et puis c’est la dissolution, la tripartition de la Chambre qui en résulte, et la nomination de Michel Barnier. Le communiqué de l’Élysée du 5 septembre 2024 tente de présenter à la fois le caractère inédit de la situation – avec l’arrivée à Matignon d’un membre des Républicains qui viennent de se rallier au bloc central – et de sauver l’image de la présidence. Caractère inédit donc avec cet appel à l’union nationale : « Le Président de la République a nommé Monsieur Michel Barnier Premier ministre. Il l’a chargé de constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays et des Français. » Ce qui, on le note, encadre en quelque sorte le choix de ses membres : il faudra puiser dans toutes les forces du « socle commun ». Mais on note aussi tout aussitôt le rappel du rôle du Président comme arbitre et gardien des institutions : « Cette nomination intervient après un cycle inédit de consultations au cours duquel, conformément à son devoir constitutionnel, le Président s’est assuré que le Premier ministre et le gouvernement à venir réuniraient les conditions pour être les plus stables possibles et se donner les chances de rassembler le plus largement. »
On sait pourtant ce qu’il advint du gouvernement Barnier et de l’effet des géniales consultations présidentielles préalables. Est-ce à cause des pressions exercées par François Bayrou pour obtenir Matignon, est-ce pour laisser une plus grande marge de manœuvre à son allié ? Toujours est-il que le communiqué du 13 décembre 2024 retrouve la sobriété initiale : « Le Président de la République a nommé M. François Bayrou Premier ministre, et l’a chargé de former un gouvernement ».
Le 9 septembre 2025 pourtant, le communiqué annonçant la nomination de Sébastien Lecornu traduit à nouveau les rapports attendus entre l’Élysée et Matignon. « Le Président de la République – y lit-on – a nommé monsieur Sébastien Lecornu Premier ministre », mais c’est pour ajouter aussitôt que la composition du gouvernement ne devra cette fois… pas être sa priorité, ou, du moins, qu’elle ne devra se faire qu’après une large consultation des partis politiques : « Il l’a chargé de consulter les forces politiques représentées au Parlement en vue d’adopter un budget pour la Nation et bâtir les accords indispensables aux décisions des prochains mois. À la suite de ces discussions, il appartiendra au nouveau Premier ministre de proposer un gouvernement au Président de la République. »
Responsable donc, mais pas coupable
On notera, d’abord, qu’il s’agit en premier lieu pour le Premier ministre de savoir sur qui compter politiquement – au besoin en offrant quelques compensations programmatiques –, pour ensuite seulement composer un gouvernement – l’attribution des ministères pouvant relever d’autres compensations. Nous ne sommes plus très loin ici du trop fameux « régime des partis » de la IVe ou, pour être moins critique, il s’agit de la conséquence logique de la fragmentation politique de l’Assemblée nationale et de l’absence de majorité absolue pour un même parti ou une même coalition – ou même de majorité/minorité composite assez large pour être susceptible d’empêcher sa chute face à l’alliance des oppositions. On notera, ensuite, combien cette formule de « proposer un gouvernement au Président de la République » montre une sujétion du Premier ministre qui n’est certes pas nouvelle – même en période de cohabitation il y eût en effet des arbitrages douloureux entre l’Élysée et Matignon quant au choix du locataire de tel ou tel ministère – mais qui rend compte d’une réalité : l’Élysée entend bien continuer à piloter la politique menée.
Le président l’entend tellement bien qu’il fixe d’ores et déjà un cadre à cette politique dans le même communiqué : « L’action du Premier ministre – continue le texte – sera guidée par la défense de notre indépendance et de notre puissance, le service des Français et la stabilité politique et institutionnelle pour l’unité du pays ». C’est bien vu, puisque ces éléments peuvent sembler relever des compétences générales présidentielles (article 5 de la Constitution : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. »), auxquelles s’ajoute sa fonction de « chef des armées » (article 15 de la Constitution). Ces compétences, et la place du président qui en résulte, sont d’ailleurs rappelées à tous les partis comme intangibles par le communiqué élyséen : « Le Président de la République est convaincu que sur ces bases une entente entre les forces politiques est possible dans le respect des convictions de chacun ».
En rappelant ainsi l’étendue de ses pouvoirs par l’interprétation de l’article 5, comme en affirmant son droit de regard sur la composition du gouvernement, Emmanuel Macron se garantit a minima une faculté d’empêcher suffisante pour continuer de mener à bien une grande part de sa politique – si tant est que Sébastien Lecornu ose tenter des écarts, ce qui au vu de son passé est peu crédible. Par ailleurs, en s’affranchissant des risques d’une consultation préalable qu’il se vantait d’avoir menée à bien « conformément à son devoir constitutionnel » en 2024, pour en faire peser cette fois le poids sur les épaules de son nouveau Premier ministre, le président entend ne pas être menacé dans sa légitimité par le possible échec de cette phase. Responsable donc, mais pas coupable : ces communiqués traduisent en fait toute l’ambiguïté du rôle du Président de la Cinquième République, et plus encore depuis l’instauration du quinquennat.
Illustration : « – Je vous fais confiance, mon petit Sébastien. – Vous pouvez, cher François. »
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